OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Sarkozy faux-ami des banlieues http://owni.fr/2012/03/15/veritometre-sarkozy-faux-ami-des-banlieues/ http://owni.fr/2012/03/15/veritometre-sarkozy-faux-ami-des-banlieues/#comments Thu, 15 Mar 2012 18:30:19 +0000 Pierre Leibovici et Grégoire Normand http://owni.fr/?p=102258 OWNI-i>TÉLÉ, Marine Le Pen s'enfonce encore un peu plus tandis que le score de ses adversaires se stabilise. ]]>

Ce jeudi 15 mars à 18 heures, Marine Le Pen ferme toujours la marche du classement de l’indice de crédibilité du Véritomètre, permettant de vérifier l’exactitude de toutes les déclarations chiffrées des candidats. Tandis que François Hollande et Jean-Luc Mélenchon sont toujours au coude à coude à la deuxième et troisième place, Eva Joly occupe encore le haut du podium.

Au cours des dernières 24 heures, l’équipe du Véritomètre a vérifié 28 citations chiffrées des candidats à la présidentielle.

Résumé des faits marquants du jour.

Nicolas Sarkozy repeint les chiffres des banlieues

A qui lui reprocherait son manque d’engagement envers les banlieues, Nicolas Sarkozy a trouvé la parade : les milliards d’euros investis par l’État dans les Zones urbaines sensibles (ZUS), pour reprendre la sémantique ministérielle. En seulement 24 heures et deux interventions très médiatisées, le président-candidat a ainsi vanté les mérites du Programme national de rénovation urbaine (PNRU), destiné à transformer le cadre de vie des quatre millions d’habitants de ces quartiers.

Première occurrence lors du discours de Villepinte, le 11 mars dernier :

Et c’est nous qui avons prévu 45 milliards d’euros pour que nos compatriotes dans les quartiers puissent vivre dans des conditions décentes.

Même son de cloche le lendemain, dans l’émission Parole de candidat sur TF1, à quelques détails près :

Le plan de l’Anru, la rénovation urbaine (…) c’est 45 milliards d’euros.

Des citations en apparence identiques. Mais qui ont en fait chacune leur lot de biais et d’imprécisions.

Première différence : si, à Villepinte, Nicolas Sarkozy emploie la première personne du pluriel et entend donc parler de l’action du gouvernement depuis 2007, il se contente du “plan de l’Anru” (Agence nationale de rénovation urbaine) dans sa deuxième intervention sur TF1.

Un plan mis en place en … 2004, en vertu de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, votée le 1er août 2003. Le candidat UMP s’approprie donc une politique de rénovation qui précède de trois ans son arrivée au pouvoir.

Autre imprécision : celle du montant engagé pour le PNRU. Tandis que devant les militants UMP, Nicolas Sarkozy parle de 45 milliards d’euros “prévu[s]“, il laisse entendre, dans l’émission Parole de candidat, que cette somme a déjà été dépensée, en utilisant le présent : “c’est 45 milliards d’euros”. Or, comme le confirme un communiqué du ministère de la Ville du 29 février dernier :

Huit ans après le lancement du programme national de rénovation urbaine (PNRU), (…) les deux-tiers du programme ont été engagés, avec 30 milliards d’euros de travaux sur 45 milliards prévus.

Les 45 milliards d’euros pour les “quartiers” n’ont donc pas encore été entièrement investis par l’État. Un détail que le président-candidat n’a pas jugé utile de mentionner, tout comme celui des sommes engagées pour le PNRU avant le début de son quinquennat : 17,5 milliards d’euros. Le site Internet de l’ANRU recense effectivement quatre lois, votées avant 2007, qui ont contribué à près de 60% du montant total dépensé pour la rénovation des ZUS en 2012.

S’il est réélu le 6 mai prochain, Nicolas Sarkozy devra donc veiller à ce que l’État dépense 15 milliards d’euros en seulement un an, afin de remplir les objectifs du PNRU de “45 milliards d’euros à l’horizon 2013″.

C’est plus que le total des sommes engagées au cours de son quinquennat pour rénover les banlieues.

Trop d’expatriés pour Jean-Luc Mélenchon

Lors de son meeting à Clermont-Ferrand, mercredi 14 mars, Jean Luc Mélenchon a abordé le thème des français de l’étranger par ces mots :

(…) ils vont aller emmerder 2 millions de personnes [nos compatriotes] qui vivent à l’étranger !

Le ministère des Affaires étrangères indique que 1 594 303 personnes étaient inscrites au registre mondial des Français établis hors de France au 31 décembre 2011.

Le candidat du Front de Gauche exagère donc de 25%.

Raz de marée d’étrangers chez Marine Le Pen

A Marseille, lors de son discours du 4 mars, Marine Le Pen a réactivé un thème cher au Front National, celui de l’immigration. Elle a ainsi déclaré

10 millions d’étrangers entrés dans notre pays en 30 ans !

Mais d’après l’OCDE, le nombre d’étrangers entrés en France entre 1984 – années du début de ces statistiques – et 2009 (dernières données disponibles) s’élève à 2 416 905, quatre fois moins que l’estimation de la candidate du Front national.

Ces chiffres ne comptabilisent d’ailleurs que les “entrées” d’étrangers en France, effectivement évoquées par Marine Le Pen, et non pas les installations d’étrangers sur le sol français, qui se sont élevées, elles, à 1 200 000 sur la période 1982 – 2008, selon les dernières données de l’Insee.

Dans le même discours, elle annonce que la France accueille :

200 000 étrangers légaux chaque année !

Une estimation qui revient d’ailleurs fréquemment dans les interventions de Marine Le Pen vérifiées par l’équipe du Véritomètre. Problème : ce chiffrage rentre en contradiction avec l’autre estimation de la candidate FN, celle des “10 millions d’étrangers entrés [en France] en 30 ans”. Car, si 200 000 immigrés légaux sont arrivées chaque année en France depuis 1982, leur nombre total devrait s’élever à 6 millions aujourd’hui. Et non 10, comme elle l’affirme.

Marine Le Pen estime donc à 4 millions le nombre d’étrangers entrés illégalement sur le territoire français depuis 1982. Bien qu’elle ait déclaré, lors du même discours de Marseille :

(…) sans compter les clandestins qu’on n’arrive pas, évidemment, à compter.


Les vérifications des interventions sont réalisées par l’équipe du Véritomètre : Sylvain Lapoix, Nicolas Patte, Pierre Leibovici, Grégoire Normand et Marie Coussin.
Retrouvez toutes nos vérifications sur le Véritomètre et nos articles et chroniques relatifs sur OWNI
Illustrations par l’équipe design d’Owni /-)

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Vida de mierda, comida de mierda, cuerpos de pobres (s) http://owni.fr/2010/04/11/vida-de-mierda-comida-de-mierda-cuerpos-de-pobres-s/ http://owni.fr/2010/04/11/vida-de-mierda-comida-de-mierda-cuerpos-de-pobres-s/#comments Sun, 11 Apr 2010 14:29:25 +0000 Laurent Chambon, traduction Ney Fernandes http://owni.fr/?p=11993
Impressionné par la qualité de l’article de Laurent Chambon “Vie de merde, bouffe de merde, corps de pauvres”, publié d’abord sur Minorités et qu’il a découvert sur Owni, Ney Fernandes l’a traduit en espagnol. Pour le remercier, c’est simple : partagez cette analyse avec vos amis hispanophones !

Laurent Chambon, doctor en ciencias políticas y cofundador de la revista Minorités, reflexiona sobre los orígenes de la pandemia de obesidad observada en Estados Unidos y su aparición en Francia. Este fenómeno es ante todo el síntoma de una sociedad profundamente desigual.

Cada vez que voy al suburbio donde crecí, el 91 [suburbio parisino, Essonne], varias cosas me impresionan: (1) todo está muy limpio y hay flores por todos lados, a pesar de los automóviles incendiados, (2) las zonas comerciales al estilo estadounidense (tiendas/galpones construidos de prisa alrededor de un estacionamiento) reemplazan los últimos bosques, (3) se ve que la gente tiene cada vez menos dinero y los supermercados han eliminado los productos más caros para ofrecer apenas lo más barato, (4) la fealdad comercial y la precariedad de los letreros publicitarios omnipresentes son extremas y (5) hay mucha gente muy gorda por todos lados. Más que gorda. Obesa, en realidad.

Hace cuatro años viajé a Detroit para mezclar mi primer disco. Allí, la fealdad estructural de la ciudad y la obesidad de la gente formaban parte del exotismo. Pero en mi casa, en el 91, la violencia de esa pobreza cultural y visual mezclada con la epidemia de obesidad me dejó pasmado. Mientras digería mi decepción encontré varios libros y artículos sobre alimentación, obesidad, clases sociales y revolución verde. Como siempre, hay que saber separar el trigo de la cizaña, por más difícil que sea.

Una de las teorías en boga en el norte de Europa es que la obesidad es una enfermedad mental. Una especie de anorexia al revés, mezclada con hábitos propios de una adicción, cierta debilidad moral y disfunciones de comportamiento. En vez de dejar que los laboratorios nos engatusen con píldoras mágicas que hacen adelgazar sin ningún efecto secundario, los médicos y sicólogos se dedican a profesar principios de autocontrol y elaborar terapias para impedir que la gente se atiborre como puercos.

Cosa de perezosos

No puedo negar que me produce desazón ver esos turistas estadounidenses obesos en Amsterdam que se hartan de menúes XL de papas fritas, hamburguesas y tortillas mexicanas (que contienen al menos media hoja de lechuga, cómo no), pero que tienen una crisis de asma si les sirven una Coca-Cola normal en vez de la versión dietética que pidieron.

Ver a un obeso comer en exceso es casi tan insufrible como esas campañas de las organizaciones de protección animal con cachorritos infelices encerrados en pequeñas jaulas. Hay algo obsceno en ese atiborramiento de obesos.

Así y todo, aunque nos den ganas de gritar que los estadounidenses son obesos por perezosos y golosos, me pregunto si no habrá una explicación realmente válida. Porque quien ha vivido en Estados Unidos sabe perfectamente que los más pobres son súper delgados o súper gordos. Los cuerpos de los estadounidenses delatan su pertenencia a una clase social, incluso antes que su acento y su ropa. Los ricos tienen cuerpos atléticos y dientes perfectos, los pobres no tienen ni lo uno ni lo otro, y la clase media lucha por limitar los estragos para no parecerse demasiado a los pobres.

Cuando se sabe a qué punto la meritocracia estadounidense es un mito y que tanto la riqueza como la pobreza se heredan, se llega a la conclusión de que debe haber algo más que la voluntad personal que permite a los ricos ser bonitos y obliga a los pobres a ser feos. Por lo tanto, el supuesto de que los gordos son gordos porque son perezosos, por más evidente que ello parezca, no me convence para nada.

Por más que los sicólogos intenten vendernos sus terapias antigula, yo no les creo.

Cosas de clase

Uno de los libros fundamentales de la década, que ya comenté en la edición n.º 10 de Minorités, es The Spirit Level, Why More Equal Societies Almost Always Do Better, de Richard Wilkinson y Kate Picket. El libro da a conocer una relación estadística entre las enfermedades y las desigualdades.

En resumen, mientras más desigual es una sociedad, más sus habitantes son gordos, depresivos y violentos. En las sociedades más igualitarias la gente controla mejor su vida: hay menos criminalidad, menos violencia, menos adolescentes embarazadas, menos violaciones, menos obesidad, menos enfermedades, menos extrema derecha…

Los dos sociólogos ingleses reconocen sin embargo que no pueden explicar en detalle todo el fenómeno: todo indica que las desigualdades son un factor de estrés individual y colectivo que tiene consecuencias dramáticas, pero no encuentran material científico que explique por qué el hecho de vivir en una sociedad desigual produce obesidad.

Pues yo di con un artículo de investigadores –posteriormente citado en Slate– que lograron demostrar algo realmente interesante: la obesidad no tiene una relación directa demostrable con la cantidad de alimentos ingeridos, ni tampoco es la causa de todas las enfermedades que suelen asociarse a los problemas de sobrepeso. En realidad, la obesidad es un síntoma de envenenamiento alimentario.

En pocas palabras, el cuerpo humano se protege de una alimentación de mierda almacenando los elementos que no sabe desintegrar o transformar en la parte externa del cuerpo, en su capa de grasa externa. Mientras más mierda comamos, más grasa repartimos sobre nuestro vientre, nuestros senos y nuestro trasero. Al cabo de unos diez años, cuando el cuerpo ya no logra defenderse y deja de almacenar toda esa basura en su grasa externa, los órganos internos se ven afectados y surgen las enfermedades derivadas de la obesidad.

Nación comida chatarra

En Fast Food Nation, un libro muy bien escrito que devoré de una tirada, Eric Schlosser explica cómo la industrialización de la alimentación en Estados Unidos fue acompañada por el surgimiento de una economía basada en sueldos bajos y de un proletariado ultramóvil y esclavizado a voluntad, y por la construcción de un país desigual donde las infraestructuras financiadas por todos están al servicio de los intereses de unos pocos grupos industriales.

El autor describe la explotación de adolescentes por parte de cadenas de alimentación rápida, la precariedad de los controles de higiene, la pésima calidad de los ingredientes utilizados por la industria alimentaria, la crueldad infligida a los animales y los trabajadores ilegales (cuyos restos pueden terminar mezclados en tu hamburguesa), sin olvidar la difusión de la mentira generalizada.

La primera mentira es la de la composición de los productos vendidos: grasa de pésima calidad, grasas trans (que ya han sido prohibidas en algunos estados y ciudades), uso de interiores y aditivos de todo tipo…

Lo más escandaloso es la mentira del olor y del sabor: para escondernos que comemos literalmente mierda, a la carne se le inyecta un sabor a “carne sellada a la parrilla”, mientras que las papas fritas precocidas vienen con un perfume de papas-ricas-que-ya-no-existen, la mayonesa trae una fragancia de queso y a los caldos de restos de pollo pasados por la centrifugadora para aumentar la cantidad de agua también se les agrega sabor a pollo.

En cuanto al umami, ese quinto sabor descubierto por los japoneses, el que tanto nos hace amar el sabor del pollo frito o de la carne asada, nada tiene que ver con los ingredientes o la cocción: proviene de aditivos químicos destinados a engañar el paladar.

No sólo nos venden mierda en embalajes bonitos, sino que además engañan nuestros instintos y nuestro olfato.

En Internet y en los diarios ha circulado un artículo famoso de una estadounidense que dejó al aire libre un Happy Meal™ –ese menú preparado por McDonald’s con tanto amor para los niños– para ver qué sucedía. Al cabo de un año seguía intacto, totalmente menospreciado por los hongos, las bacterias y los insectos. Si ni siquiera las bacterias y los hongos dan cuenta de ese tipo de comida, ¿cómo pretender que nuestro cuerpo pueda desintegrarla y encontrar en ella los elementos que necesita? Muchos padres que conozco y que leyeron ese artículo quedaron más que preocupados.Envenenamiento colectivo planificado

Basta con pasearse por cualquier supermercado estadounidense, neerlandés o británico para darse cuenta del predominio de la comida industrial: es casi imposible prepararse una comida con productos que no hayan sido procesados y carezcan de aditivos creados para engañar nuestros sentidos. Comer sano requiere disponer de recursos financieros y organizacionales que no están al alcance de los pobres.

Esa misma evolución se observa en el suburbio donde crecí: las tiendas de productos frescos cerraron sus puertas hace mucho tiempo y han sido reemplazadas por tiendas de telecomunicaciones, mientras los supermercados reservan cada vez más espacio para los platos preparados por la industria alimentaria (con márgenes de ganancia muy alentadores) en detrimento de los productos frescos no procesados (que ofrecen márgenes muy inferiores).

Vender un puerro a unos cuantos céntimos para preparar una sopa es mucho menos rentable que vender un litro de sopa por varios euros, sobre todo cuando no contiene más que almidón, potenciadores de sabor, grasas de mala calidad y sal.

De pronto, las estadísticas de los sociólogos cobran sentido: en las sociedades desiguales (encabezadas por Estados Unidos y Reino Unido) es donde se ve la pobreza más extrema, pero también donde la industria alimentaria ha desarrollado la mayor cantidad de alimentos a bajo precio para satisfacer las necesidades calóricas de los más pobres, porque su ingreso disponible es mucho más bajo que en los países más igualitarios.

Los países europeos que siguen esa tendencia fácil de la desigualdad también son los más afectados por la industrialización de la alimentación, una respuesta barata a la baja de sueldos reales y a la violencia organizacional infligida a las familias.

En una sociedad donde las personas ya no tienen muchas oportunidades para juntarse a comer porque se les exige ser más flexibles a la vez que se les paga menos, la comida chatarra industrializada pasa a ser una respuesta normal.

Campaña “comer y moverse”

Ante ese panorama, ver esas campañas públicas que llaman a “comer y moverse” (www.mangerbouger.fr) seguidas de avisos publicitarios de comida chatarra en la tele es algo que me saca de quicio. Dejan a las clases medias pauperizarse, transforman las ciudades en centros comerciales vulgares y accesibles únicamente en automóvil, donde la única comida disponible es mierda perfumada, y luego nos dicen que tenemos que movernos si no queremos terminar todos obesos.

Ahora que sabemos que nuestro cuerpo se pone obeso porque nos hacen ingerir productos tóxicos, y que comemos mierda porque así alcanzamos una organización óptima para maximizar las ganancias de algunos mientras mantenemos los sueldos de otros tan bajos como sea posible sin que la gente tenga hambre, ¿no les parece un tanto irónico escuchar que si movieran un poquito más su trasero serían menos gordos?

Lo que me enfurece más aún es que ya sabemos que el modelo de desarrollo estadounidense es catastrófico: una naturaleza agotada, ciudades feas donde se vive mal, clases medias pauperizadas y obligadas a vivir de los créditos porque el sueldo no da abasto para alimentar a la familia, y un cuasi monopolio de la alimentación industrial que ha provocado una obesidad pandémica y una morbilidad sin precedentes, incluso entre los niños.

Se sabe, pues, y no se hace nada. Seguimos igual.

Todo está muy bien y el país se moderniza. ¿Quieren un poco más de nuestra mierda perfumada? Eso sí, no sean perezosos y muevan un poco el culo…

> Article initialement publié sur Minorités.org, traduit par Ney Fernandes

> Illustrations par Lee Coursey, The Rocketeer, Mustu et Srdjan Stokic et colros (une) sur Flickr

> Légendes par la rédaction

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« Vouloir faire des sujets positifs ou négatifs sur les banlieues est un non-sens journalistique » http://owni.fr/2010/02/24/%c2%ab-vouloir-faire-des-sujets-positifs-ou-negatifs-sur-les-banlieues-est-un-non-sens-journalistique-%c2%bb/ http://owni.fr/2010/02/24/%c2%ab-vouloir-faire-des-sujets-positifs-ou-negatifs-sur-les-banlieues-est-un-non-sens-journalistique-%c2%bb/#comments Wed, 24 Feb 2010 10:30:30 +0000 Bondy blog (Stéphanie Varet) http://owni.fr/?p=8938

Allez au-delà des a priori

La soucoupe accueille pour la première fois le Bondy blog, avec un article sur le traitement journalistique de la banlieue, trop souvent sujet à cliché. Il a été publié dans le cadre de l’école du blog. Ouverte à tous, sur inscription, elle accompagne les jeunes de quartier pour les aider à s’exprimer, quel que soit le support, écrit, radio ou vidéo. En bref, une belle initiative.

ECOLE DU BLOG. Samedi 13 février, Luc Bronner, journaliste au « Monde », a exposé sa façon de travailler dans un milieu réputé hostile. VIDEO EN +

Luc Bronner, journaliste au Monde, est en charge des banlieues, secteur peu convoité par la profession, depuis bientôt cinq ans. Son histoire avec les « quartiers » commence dans une violence hors du commun quand il prend son poste le 2 novembre 2005, lors de la première semaine d’émeutes.

Profitant de la liberté que lui accorde bien volontiers sa rédaction, il se concentre sur d’Aulnay-sous-Bois, 90 000 habitants, ville pépère d’un côté, ville crispée de l’autre. Il choisit un pâté d’immeuble de la citée à problèmes des 3000, difficile. Il s’imprègne du quotidien de ses habitants, les accompagne, s’ennuie avec eux, palabre, accepte les silences, les écoute. Bref, il plonge dans leur vie. Il multiplie les sources, crée un réseau d’interlocuteurs afin d’appréhender au mieux son sujet. « Cela suppose de passer énormément de temps avec les gens : jeunes, élus locaux, commerçants », dit-il.

Luc Bronner reconnaît que traiter les banlieues comme une rubrique à part concourt à leur ghettoïsation. « Moi-même, en tant que journaliste au Monde, je participe à ce que les habitants des banlieues perçoivent comme une stigmatisation de leur lieu de vie. A chaque incident, il y a une flambée médiatique. Cela dit, il faut traiter les violences urbaines car c’est une réalité. Mécaniquement, s’il n’y a pas quelqu’un pour raconter les banlieues, on les oublie. Mais si on ne les traite que lorsqu’il s’y produit des incidents, on a alors un traitement de style faits divers, et ce n’est pas suffisant. »

Couvrir les banlieue ou un tout autre sujet selon un a priori positif ou négatif ne fait pas partie de la conception qu’il a de sa profession. « Je ne conçois pas que mon rédacteur en chef me dise d’aller chercher un sujet positif après avoir tapé sur la banlieue », explique le Prix Albert Londres 2007.

Luc Bronner rappelle que les journalistes n’ont pas pour rôle de coller au discours gouvernemental (« plan Marshall », « pôles d’excellence », etc.) ni associatif. Il fait le tri entre ce qui relève de la communication et les réalités. « Depuis 2005, le nombre de voitures brûlées n’a pas baissé. L’Etat essaie de nous faire croire que les banlieues sont plus calmes qu’auparavant. On est passé d’un extrême à un autre : on ne voit plus les voitures brûlées en banlieue. La situation de la délinquance et de la sécurité est pire depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Mes articles, basés sur des enquêtes, démontrent le contraire du discours du gouvernement sur ces questions. »

Luc Bronner est-il « blacklisté » (momentanément boycotté) par le ministère de l’Intérieur ? Il a tendance à le croire car depuis quelques temps, ses demandes d’informations un peu pointues adressées à la Place Beauvau ne reçoivent pas de suite. « Ça gêne terriblement le gouvernement lorsque vous racontez le quotidien tout sauf rose de la police, des UTEQ, les Unités territoriales de quartier », explique-t-il.

Récemment, son journal à publié une double page écrite par lui sur un réseau de trafiquants de cannabis à Nanterre. Un peu comme un enquêteur du fisc, il a épluché 4000 procès verbaux de police (avant le blacklistage supposé), compte-rendu d’écoutes téléphoniques compris, des semaines de travail pour narrer le quotidien des trafiquants. Un luxe, aujourd’hui, dans la presse écrite. Il a ainsi découvert que le trafic s’apparentait à une petite PME avec un chef, du management, des employés.

Dans cette affaire, le chef du trafic, âgé de 25 ans comme la plupart de ses « homologues » en France, a décidé d’« exploser » publiquement la tête d’un vendeur de son réseau, qui avait la fâcheuse habitude de barboter une partie du fruit de ses ventes. Les petits, désirant à tout prix briller aux yeux du chef, n’ont pas hésité à le ruer de coups de battes de baseball.

Luc Bronner voit dans cette histoire une violence extrême bien sur, mais aussi un démenti aux déclarations du gouvernement qui, selon lui, veut faire accroire l’idée que les trafiquants roulent tous en Merco. « Le cannabis, c’est le marché noir du 21e siècle, cela témoigne d’une misère épouvantable et on change complètement de regard sur le sujet », constate Luc Bronner. Avec cette enquête, Luc Bronner met le doigt, une fois de plus, sur la misère matérielle, intellectuelle, sociale dans laquelle sont plongés et maintenus, les quartiers populaires. Quatre jeunes sur dix y vivent sous le seuil de pauvreté. « Mon travail, c’est de rappeler de façon quasi obsessionnelle que les quartiers sont dans un état social épouvantable. »

Le journaliste du Monde s’inscrit en faux contre l’idée selon laquelle des journalistes noirs ou maghrébins seraient mieux à même de traiter les banlieues – il n’en parle jamais au singulier – que des journalistes blancs : « Moi qui viens d’un quartier rural, j’y arrive. C’est purement un travail de journaliste, qui suppose qu’on se construise un réseau et que l’on croise les sources. »

En ce sens et avec un peu d’ironie, il « tacle » gentiment l’« immersion » de TF1 à Villiers-le-Bel. « J’ai beaucoup aimé l’émission d’Harry Roselmack et j’ai été très content de voir qu’il n’y arriverait pas : au bout de trois jours, il s’est fait mettre dehors de la cité où il résidait et a dû dormir à l’hôtel. Cette émission a prouvé que seul un travail journalistique dans la durée permet de traiter au mieux les banlieues. Cela dit, il y avait de bonnes choses dans le reportage de Roselmack, comme cette mise en lumière des souffrances psychologiques des garçons qui n’en peuvent plus de devoir toujours assurer vis-à-vis du groupe. »

On comprend que si Luc Bronner tient le coup, c’est beaucoup en raison des moments « de rire et d’humanité » qu’il ne retrouve pas ailleurs que dans les banlieues.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Vidéo : Chou Sin et Idir Hocini

Article de Stéphanie Varet, initialement publié sur le Bondy blog

Photos Alain Bachellier sur Flickr

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Emeutes 2005 : prendre du recul grâce à l’analyse http://owni.fr/2009/10/07/emeutes-2005-prendre-du-recul-grace-a-lanalyse/ http://owni.fr/2009/10/07/emeutes-2005-prendre-du-recul-grace-a-lanalyse/#comments Wed, 07 Oct 2009 16:04:24 +0000 David Dufresne | davduf http://owni.fr/?p=4305 Voici un extrait de mon livre « Maintien de l’ordre : l’enquête », paru chez Hachette Littérature. Il s’agit du deuxième chapitre. Présentation complète du livre ici.

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Maintien de l’Ordre – l’enquête

Où la France connaît ses troubles les plus graves depuis 1968… Où tout commence par une histoire de match de foot à Clichy-sous-Bois et se poursuit à quelques kilomètres de là, au Stade de France… Où l’on découvre une police débordée, déroutée, désorganisée… Où l’émeute est avant tout affaire de mécanique et de stratégie politique Et où tout le monde s’adapte : les émeutiers aux policiers, les policiers aux émeutiers …
Un soir de fin novembre 2005, Dominique de Villepin fait face à Christiane Amanpour, grande reporter de la chaîne américaine CNN. L’interview est feutrée à souhait, dorures et sourires en coins. Le Premier ministre semble soulagé. La France vient de vivre sa plus grande crise d’ordre public depuis 1968 [1]. Son visage est celui d’un pays apparemment apaisé. La journaliste parle d’« émeutes », Dominique de Villepin la reprend : « Je ne suis pas sûr que vous puissiez les qualifier d’ “émeutes”. Ce qui vient de se dérouler en France est très différent de la situation que vous avez connu en 1992 à Los Angeles, par exemple.A ce moment-là, vous aviez eu à déplorer cinquante-quatre décès et deux milles blessés. En France, pendant la période de deux semaines de malaise social, personne n’est mort. »

Pendant les mois qui vont suivre, la petite phrase « personne n’est mort » va se faire grand slogan politique. Notamment lors de la campagne de l’élection présidentielle de 2007. « Personne n’est mort ».Un leitmotiv pour Nicolas Sarkozy, un leitmotiv juste. Oui, pendant les affrontements proprement dits, « personne n’est mort ». Malgré les tirs à balles réelles de la part de certains émeutiers, malgré les coups injustifiés de quelques policiers, malgré la fatigue de part et d’autre, malgré la nuit et le bruit partout, malgré les bus pleins enflammés, les policiers excédés. Un leitmotiv de satisfaction.

Dès décembre 2005, de nombreuses polices étrangères vont venir chercher l’explication à Paris. « Personne n’est mort, mais comment faites vous ? ». C’est le grand défilé à la Direction générale de la police nationale, place Beauvau. « On se vend bien à l’étranger y compris chez les Américains ou les pays anglo-saxons, les pays d’Amérique du Sud, d’Afrique, jusqu’en Asie », dit l’un de ces policiers chargés de « valoriser l’action à la française » [2], comme il dit. Il y aurait donc une recette française. Et pourtant. Si la police a su gérer la crise sur la durée [3], si « personne n’est mort » pendant les émeutes, tout avait très mal démarré d’un point de vue de l’ordre. Improvisations, erreurs tactiques, coordination déplorable ; sur le moment, on se tait. Le pays retient son souffle. Il faudra bien un an d’enquête, un an pour que le silence soit rompu.

La Panne

27 octobre 2005, Clichy-Sous-Bois, Seine Saint-Denis, 17h20. Tout commence par un match de foot. Une dizaine d’adolescents en reviennent. Au même instant, la police est appelée. Un riverain dit les avoir vus roder près d’une baraque de chantier. Il croit à un cambriolage. En réalité, aucun objet n’est dérobé, aucune procédure ne sera diligentée à ce sujet. Une première voiture bleu-blanc-rouge fonce. Les jeunes courent. Le groupe se disperse. Six seront interpellés. Et trois empruntent un chemin de traverse : Zyed, Bouna, et Muhittin. Au coin de la rue, des sirènes. C’est l’affolement, pour rien. C’est la course poursuite, sans véritable raison. Il y a maintenant quatre équipages de police, onze fonctionnaires mobilisés. François Molins, le procureur de la République de Bobigny restitue la scène : « On est face à des petits groupes de policiers qui recherchent ou qui poursuivent des petits groupes de jeunes. C’est très difficile de savoir qui est où, qui est qui, qui poursuit qui, qui recherche qui ? » [4].

Les trois adolescents n’ont pas leurs papiers sur eux. Ils craignent la nuit au poste. Pour certains, c’est Ramadan et ils ont promis de rentrer avant le coucher du soleil. « Si les civils m’attrapent, mon père, il m’envoie au bled en Tunisie » lâche Zyed [5] à ses copains. Les voici qui enjambent des grilles, rue des Bois. De l’autre côté, dans la cour, des panneaux graffités disent : « L’électricité, c’est plus fort que toi » ou « Stop, ne risque pas ta vie ». Le gardien de la paix G. est proche. Sur les ondes de la radio de la police, à 17h32 exactement, il passe les messages suivants : « Deux individus sont localisés. Ils sont en train d’enjamber pour aller sur le site EDF. Il faut cerner le coin ». Puis : « Je pense qu’ils sont en train de s’introduire sur le site EDF… Il faudrait ramener du monde, qu’on puisse cerner un peu le quartier, quoi. Ils vont bien ressortir ». Enfin : « S’ils rentrent sur le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau ».  [6] Mais rien ne se passe. Ni renforts, ni garçons qui ressortent. 17h47, tous les effectifs de police sont de retour au commissariat central de Livry-Gargan. 18h12, dans le transformateur EDF, c’est l’arc électrique, la mort pour Zyed et Bouna, les brûlures pour Muhittin et la panne générale pour tous. Sans le savoir, toute la ville de Clichy-sous-Bois vit le drame par procuration. Et cette mort partagée, ce deuil collectif, ne sont sans doute pas pour rien dans le déclenchement des émeutes qui vont survenir. Quoi de plus banal, de plus innocent, qu’un match de foot entre copains et donc, de plus injuste, que leur mort qui suit ? Et quoi de plus glaçant qu’une panne partagée par tous parce que deux adolescents du quartier se sont électrocutés ?

18h44, les pompiers sont sur les lieux. Le maire, Claude Dilain, accourt. Il raconte : « Je vois beaucoup de policiers que je ne connais pas, des policiers qui sont venus de toute la Seine Saint Denis. Il y a une atmosphère de plomb et j’ai beaucoup de mal à obtenir des informations, je ne peux pas pénétrer dans la centrale. On me dit que c’est pour des raisons de sécurité, qui étaient d’ailleurs légitimes, mais est-ce qu’il y avait d’autres raisons, probablement… Profitant d’un certain flottement parmi les gardiens de la paix, j’arrive quand même à passer. Puis à m’approcher des cadavres mais tout de suite on me redemande de sortir, toujours pour des raisons de sécurité, parce qu’il faisait nuit, etc. A l’extérieur, les familles sont là. Les parents, les frères. Les familles sont effondrées, au sens propre, c’est-à-dire qu’elles s’effondrent par terre de douleur, de chagrin. Et en même temps que ce chagrin compréhensible, je sens monter la colère. Un des membres de cette famille tape sur le capot d’une voiture en disant “si c’est ça la France”… »  [7]

La Mécanique de l’émeute

Au même instant, l’affaire est déjà signalée au plus haut niveau. A la Direction départementale de la Sécurité Publique (DDSP) de Seine Saint-Denis, on s’attend à une nuit agitée. Le fait divers va basculer en fait de société mais personne ne l’imagine encore. Pour l’heure, chacun croit à un schéma désormais classique : une mécanique de l’émeute qui s’enclenche à la suite d’une intervention de police qui tourne au drame, quelque part dans une cité. Bavure ou pas, les rumeurs courent, les fantassins se pressent, de part et d’autre, c’est bloc contre bloc, un quartier s’embrase et la police rétorque. Et puis, d’ordinaire, on oublie. Sauf que cette fois-ci, le pays entier va être saisi. Les autres adolescents du groupe, qui ont été interpellés, sont maintenant relâchés. Au quartier, ils racontent. La colère gronde.

Place Beauvau, le directeur central de la Sécurité Publique (DCSP) renforce immédiatement « la zone 93 ». Philippe Laureau, le chef, n’a que quelques mètres à parcourir pour se rendre à sa salle d’informations. C’est au bout d’un étroit couloir, rue Cambacérés, à deux pas du ministère. « On se doutait bien qu’un dossier de ce type allait entraîner des rebonds et qu’il fallait le traiter » [8]. Le traiter ? C’est envoyer des hommes et monter d’urgence une cellule de commandement opérationnel. A la DCSP, cette cellule prend place dans une salle de crise aménagée pour ces occasions. Chaque 14 juillet, chaque 31 décembre, chaque fois que l’ordre public est sérieusement malmené, cette salle est ouverte. A Bobigny, le bureau des Renseignements généraux 93 alerte Paris : des échaufourrés sont à prévoir. La Sécurité Publique veut savoir, elle, « si il y a des groupes susceptibles de mettre l’Etat en péril. » [9]

Christian Lambert, le grand patron des CRS, un proche de Nicolas Sarkozy, est déjà sur place, à la DDSP de Bobigny. Lambert, c’est le tombeur d’Yvan Colonna, le tueur présumé du préfet Erignac. Christian Lambert vient de prendre ses fonctions quelques mois plus tôt à la direction des CRS. Pour lui, c’est le bapteme du feu. A ses côtés, un homme, Pierre Marchand-Lacour va commander toutes les compagnies républicaines de Sécurité postées pendant un mois en Seine Saint-Denis. Vingt-cinq ans de métier, Marchand-Lacour est de ces CRS qui mettent la République en avant. Le sourire large, il y revient à chaque instant. Leur visite à leurs collègues de la Sécurité publique obéit à une procédure, celle dite de la « phase préparatoire ». C’est le quart d’heure (ou l’heure, ou la nuit) de théorie. Quand il faut évaluer les risques, peser les besoins, mesurer les réponses à donner : « Quel type d’intervention il va falloir faire, ou de non-intervention ? Quel type de moyens on va employer ? Combien de personnes faut-il ? C’est important : il ne s’agit pas d’arriver n’importe où, n’importe comment, avec n’importe qui. Il faut connaître le terrain, savoir quel type de population est en face, s’il y a une hostilité ou pas d’hostilité ? » [10]

Trois unités de CRS sont désignées. Elles vont arriver au compte-goutte. Les services locaux de police leur remettent des fiches de renseignement. Elles comportent des plans des lieux, des photographies d’éventuels fauteurs de troubles et, parfois, des données sociologiques sur les lieux d’intervention. Le maintien de l’ordre, c’est aussi ça : du repérage. Pierre Marchand-Lacour grimpe dans un poste de commandement mobile, qui sera bientôt stationné dans la cour même de la caserne des sapeurs pompiers de Clichy-Montfermeil. A chaque brigade, on affecte un policier du coin, chargé de pallier la méconnaissance territoriale de ses collègues…

Quant à la météo, elle bat des records. La journée a été la plus chaude à Paris depuis octobre 1937 [11]. Dehors, dans la rue, on sort. Le maintien de l’ordre, c’est encore ça : une question de climat. Au point qu’un rapport des Renseignements généraux, rédigé au plus fort de la crise, soulignera la clémence météorologique pour expliquer la persistence des troubles. Et formulera plusieurs propositions dont celle-ci, absurde et non suivie d’effet : « Sachant que les fauteurs de troubles sont nettement moins enclins à se manifester par temps pluvieux, il pourrait être judicieux, parce que dissuasif, de recourir aux lances à incendie utilisées par les pompiers ». [12] Déjà caillassés, on imagine mal les pompiers se prêter à ce genre de jeux aquatiques…

21h50, les premiers feux de voiture. Deux cents jeunes font face à deux cents policiers. Des jeunes du Chêne Pointu et de la Forestière contre des Compagnies Départementales d’Intervention (CDI) de toute la Seine Saint-Denis et quelques CRS. 23h25, les pompiers déclenchent l’échelon rouge (le plus élevé) du plan « troubles urbains ». Dans la nuit, un tir à balle réelle atteint le capot d’une camionnette de police. « Tout est parti de l’artère principale de Clichy, l’allée Maurice Audin, raconte Samir Mihi, éducateur sportif qui va rapidement devenir personnage public. Dès que j’ai ouvert la porte d’entrée de chez moi, j’ai senti l’odeur de pneu cramé dans l’atmosphère et j’ai vu le nombre élevé des forces de l’ordre. C’est à ce moment là que j’ai compris d’où venait la panne électrique de la fin d’après midi. Tout Clichy a compris… » [13]. Le sociologue Gérard Mauger écrit : « Emballée par sa propre logique jusqu’à nier l’évidence de sa responsabilité, la violence de l’émeute apparaît comme une réponse au désordre de la police (…) De sorte que l’analyse d’une émeute du XVIIIe siècle proposée par Arlette Farge et Jacques Revel semble pouvoir s’appliquer au XXIe : “Pour les autorités, l’émeute est perçue comme une rupture menaçante du seul fait qu’elle existe. Pour la rue, elle est comprise comme une réparation et une tentative de retour à l’ordre après que la police a introduit dans la ville un désordre nouveau.” ». [14]

La police débordée

En fin de soirée, ce 27 octobre 2005, dans la salle de commandement de la DDSP, c’est l’effervescence des grands jours. Les locaux du centre névralgique de la police en Seine Saint-Denis sont d’un autre âge. On y sent la routine, la fatigue, jusque dans la vue imprenable sur le parking défoncé ou dans les pupitres décatis des opérateurs téléphoniques. Malgré tout, David Skulli, qui sera nommé à la tête du service après les événements de novembre 2005, parle avec beaucoup d’entrain. Les cheveux plus sel que poivre, la voix qui porte, la poignée de main franche, David Skulli a les atours du chef d’entreprise moderne, qui parlerait chiffre d’affaires, clientèle, bilan. Il est le portrait type du responsable policier que Nicolas Sarkozy a voulu lors de ses deux passages au ministère de l’Intérieur : un communiquant, orienté tout entier vers les résultats. A propos des émeutes, David Skulli parle de « management de crise. » [15]

Ce 27 octobre 2005, pourtant, si crise il y a ; où est donc le management ? Un policier présent au moment des faits dans les locaux témoigne. Ce qu’il dit est éloquent : « Ce soir là, c’était la fête du slip. La France ne s’en est pas rendue compte, mais nous étions complètement débordés. »5 Le gradé ne veut pas en dire trop, il y va de la réputation de la police et de l’image de professionnalisme qu’elle s’est donnée sur le moment. Sous-estimation de l’ampleur de la colère, chaîne de commandement dépassée, jeunesse de certains membres de l’encadrement, cacophonie entre les services, coordination médiocre entre le ministère, la Direction départementale de la Sécurité publique, les commissariats et les « QG » avancés, le cafouillage est patent. « Nous avons eu chaud car les effectifs, ce soir-là, étaient un peu justes » [16] affirme un responsable de la Sécurité publique. C’est vrai, mais pas seulement. Ce soir là, les Compagnies Départementales d’Intervention (CDI), des gardiens de la paix en tenue de maintien de l’ordre, qui ressemblent à des CRS mais qui n’en sont pas, commettent une sérieuse erreur tactique. Ils tirent près de trois cent grenades lacrymogènes, sur les 900 qui seront utilisées en totalité par tous les services de police confondus, sur tout le territoire, pendant toute la durée des émeutes. [17] Cette profusion démesurée de gaz et de fumée, le premier soir, donne aux événements un caractère de gravité absolue. La tension est totale. Certains résidents situés au rez de chaussée sont intoxiqués. Quant au résultat tactique, il est totalement contre-productif : « Le maintien de l’ordre, c’est quoi ? C’est tenir à distance une foule, quitte à la grenader de temps en temps, lâche un policier présent ce soir là à Clichy-sous-Bois. Or, trois cent grenades, cela veut dire qu’on disperse littéralement la foule. On ne la contient plus, on la fait fuir. Et on ne peut plus interpeller quiconque. En fait, on crée un désordre encore plus grand ». [18] Pourtant, les consignes sont claires. Surtout, pas de débordements. Surtout, pas de morts supplémentaires. L’avocat des familles des victimes du transformateur EDF en est convaincu : « Il y a eu sur ce point une prise de conscience politique et morale de la part du commandement de police pour éviter des événements trop graves, bien que quelquefois les affrontements étaient sérieux, très durs. C’est la preuve que la violence, ou la brutalité, ou l’indifférence, dans la gestion de l’ordre public ne sont pas incontournables… » [19]

Les policiers progressent maintenant dans Clichy-Sous-Bois. Les bâtiments sensibles sont tant bien que mal protégés, les pompiers escortés, et les heurts avec une partie des jeunes habitants se prolongent tard dans la nuit. « Au début, on appliquait les bonnes veilles méthodes. On mettait les hommes en rang. Ça ne marchait pas. Les gamins, ils étaient comme des mouches ». [20] Les CRS ont l’ordre de rester statiques, et de laisser la police territoriale agir. En fait, les objectifs sont troubles, mal définis. Les images amateurs tournées ce soir là sont édifiantes pour la police. On y voit des groupes de fonctionnaires qui semblent perdus, donnant la charge façon cavalerie, le chef d’unité baissant son bras comme pour donner le signal. Aux yeux de Claude Dilain, le maire de la ville, c’est net : la police est prise de court. « Et dans le nombre de fonctionnaires à mettre en place, et dans la nature même du maintien de l’ordre à opposer : la police avait en face d’elle des petits groupes très mobiles, qui ne cherchaient pas franchement l’affrontement. C’était plutôt une forme de jeu de cache-cache violent. Au fond, je sentais des policiers tendus qui avaient bien du mal à se rendre maîtres du terrain. » [21]

Ce que Claude Dilain parvient à comprendre pour la première nuit — l’effet de surprise jouant contre la police — il a plus de mal à se l’expliquer pour la suite des événements. Car la deuxième nuit va ressembler, policièrement, à la première. Il est 18h, le lendemain, quand Claude Dilain est reçu place Beauvau par le ministre de l’Intérieur lui-même. Ensemble, les deux hommes évoquent le drame du transformateur. Devant lui, en présence du Préfet, Nicolas Sarkozy passe des ordres au Directeur départemental de la Sécurité publique et au Directeur général de la police nationale. Soit : aux deux policiers les plus importants du moment. Le ministre réclame qu’un certain nombre d’effectifs de police et de gendarmerie soit présent dès le début de la nuit. « Or je ne sais pas pourquoi, reprend Claude Dilain, mais les renforts ne sont venus que très très tard dans la nuit. Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à comprendre pourquoi des ordres qui avaient été donnés en haut lieu n’ont pas été respectés. J’avais un sentiment de pagaille. J’ai même assisté à une scène où des CRS qui sont venus jusqu’à Clichy-sous-Bois ont dû repartir parce que ce n’était pas la bonne compagnie qui devait être là ! Des motards étaient venus les chercher à une porte du boulevard périphérique mais, une fois arrivée, ils se sont rendus compte que ce n’était pas à eux d’être là… Quand j’ai demandé des comptes, on m’a dit qu’il y avait effectivement eu des contre-ordres dans la hiérarchie et un maillon faible dans le système de décision… C’est toute l’explication que l’on m’a fournie… ».

Un professeur d’histoire-géographie de la ville, Antoine Germa, consignera un témoignage plus implaccable encore sur les forces de l’ordre. Témoignage qui présente l’intérêt de donner le point de vue de celui qui n’est pas aux commandes, ni dans la confidence policière. Le point de vue, en somme, de l’homme de la rue : « Samedi soir, 29 ocobre, au moment de la rupture du jeûne (vers 18h30), les 400 CRS et gendarmes, dont une partie vient de Chalon s/saone, sont sortis un peu partout dans la cité du Chêne pointu. Comme à l’accoutumée, il s’agissait d’encercler – “ de boucler ” – le quartier. Don quichottisme policier : en cohorte, à la façon des légions romaines, au pas de course, visière baissée, bouclier au bras, et flashball à la main, ils parcourent les rues une à une contre des ennemis invisibles. A cette heure, tout le monde mange et personne ne reste dehors. Pourquoi cette démonstration de force alors même que les rues étaient particulièrement calmes ? “ Provocations policières ” répondent à l’unisson les habitants interrogés. C’est un leitmotiv depuis vendredi soir. Au bout d’une heure, quelques jeunes sortent et se tiennent face aux policiers : tous attendent le début des affrontements. Quel sens donner à cette stratégie policière à part celui qui consiste à vouloir “ marquer son territoire ”, c’est-à-dire appliquer une version animale et musclée du retour à “ l’ordre républicain ” ? Plusieurs témoignages et enregistrements sur portable manifestent aussi, de façon indiscutable, la volonté de la police d’en découdre avec les jeunes (insultes racistes, appels au combat, bravades…). » [22]

Jean-Christophe Lagarde, maire de Drancy, à huit kilomètres à vol d’oiseau de Clichy-Sous-Bois, n’a pas apprécié, lui, que le commissaire de sa commune soit provisoirement appelé ailleurs dans le département : « Je ne peux pas comprendre comment celui qui connaît le mieux la ville, qui peut diriger les effectifs, les coordonner, soit constamment mobilisé ailleurs…Tant et si bien qu’on s’est retrouvé avec des commissaires ignorant tout des villes où ils intervenaient, et qui devaient commander des agents de police locaux – vous voyez d’ici le hiatus… » [23] Comme Claude Dilain, comme beaucoup d’autres édiles de la région parisienne, Jean-Christophe Lagarde a noté de nombreux dysfonctionnements dans l’emploi des forces de la police. « On s’est retrouvé avec des fonctionnaires pas formés, mais également pas équipés : sans boucliers, sans le minimum d’équipement nécessaire pour se protéger et pour intervenir… On a même vu dans certaines villes des CRS qui arrivaient avec des grands cars, destinés aux manifestations, et qui se retrouvaient dans des rues où ils ne pouvaient pas tourner. Puis ils se sont mis à rappeler tous les policiers qui étaient en congé, en repos ; bref, ils ont fait avec ce qu’ils avaient sous la main… » [24]. Sans parler des déboires de communication. Manque de canaux radios disponibles, fréquences mal distribuées, le maire de Drancy rit jaune : « J’ai accompagné une patrouille envoyée pour un incendie dans une résidence de la ville. On s’est retrouvé ensemble là-bas : rien ne brûlait, c’était très calme, pas de problème. Oui, sauf que c’était à neuf cent mètres de là. Les policiers ont essayé pendant vingt minutes d’avoir le commandement, ils n’y parvenaient pas. » [25] Ailleurs, plus au nord, même constat, cette fois par un policier d’Aulnay-sous-Bois : « Les gendarmes mobiles n’ont aucune connaissance du terrain, ils se perdent dans les rues parce qu’ils n’arrivent pas à se repérer, alors que les jeunes peuvent courir ; eux, ils sont dans leurs véhicules avec leurs cartes ; ils mettront vingt huit minutes pour arriver d’un point à un autre alors que les jeunes le faisaient à pied en moins de cinq minutes ; vous vous rendez compte vingt huit minutes ? Ça a beaucoup joué sur l’ampleur… » [26] Quant aux RG, il leur est reproché par leurs collègues trop d’approximations. « Au tout début, la confusion régnait chez eux aussi. Ils estimaient qu’on avait à faire à un véritable réseau organisé de délinquants. Le seul réseau qu’il y avait, c’était le téléphone portable ! »  [27]

Même désorganisation dans les services préfectoraux. Urgence et improvisations vont mettre à mal et à nu les équipes. Jean-Christophe Lagarde : « Pendant tous ces jours-ci, l’Etat était totalement débordé. Pendant dix jours, je n’ai même pas reçu un coup de fil de qui que ce soit. Préfet, directeur de la Sécurité publique, pas un ! Je me souviens d’une sous-préfète qui m’appelle un dimanche après-midi pour me demander, c’était quinze jours après le début des émeutes, de lui communiquer la liste des bâtiments pour lesquels la mairie avait pris des dispositions de protection, afin de pouvoir se coordonner avec les moyens de l’Etat. Je lui ai répondu, peut-être pas très aimablement d’ailleurs, que ça faisait plus de dix jours que mon commissaire avait cette liste et qu’on travaillait ensemble… »

En réalité, la Direction départementale de la Sécurité publique de Seine Saint-Denis va attendre le 30 octobre pour prendre la mesure des événements. Et s’organiser en conséquence. Un nouveau plan de gestion de crise est élaboré. Les interventions se feront plus structurées. Des renforts mobiles, principalement CRS, sont sollicités. Au quatrième jour, le dispositif semble enfin arrêté.  [28] Quatre jours, c’est long, très long. On est loin des satisfecits accordés à l’époque à la police, par elle-même, par les politiques, par la presse. A l’époque, il fallait faire corps, faire cohésion nationale, faire bloc. Toute critique apparaissait comme malvenue. L’opposition était muette. Comme aux Invalides, il y a pourtant bien eu ici aussi de lourdes fautes tactiques. Un policier de haut rang a cette proposition : « le maintien de l’ordre, c’est une science inexacte. C’est une science humaine » [29]. Et c’est justement à ce titre qu’il est passionnant à décrypter.

La stratégie d’évitement

Dans ces premiers soirs, ces premieres nuits, entre fin octobre et début novembre, que faire ? Les forces de l’ordre ont deux options : soit contenir les assauts par leur seule présence, soit aller à l’affrontement. Pour l’heure, c’est plutôt la retenue qui prédomine. La gestion de l’ordre est alors à double-face. Elle est forte en termes d’image (Nicolas Sarkozy en ministre déterminé), plus contenu sur le terrain et dans les ordres passés. « Nous devions chercher la dissuasion, explique le patron des CRS, pas forcément le contact. On devait éviter toute barricade, tout attroupement. » [30] Emeutiers et forces mobiles se livrent alors à un curieux ballet. Où chacun cherche l’autre, sans aller vraiment jusqu’à la confrontation. Où tout le monde s’adapte : les émeutiers aux policiers, les policiers aux émeutiers. « Ce n’est pas un affrontement pour nous, dans le sens où il n’y a pas de revendication précise. Ce n’est pas non plus une démonstration de rue classique. C’est une démarche très individualiste, on jette chacun sa pierre et on regarde. D’une certaine façon, cet individualisme renvoie à notre société, non ? » demande Pierre Marchand-Lacour [31]. Un Marchand-Lacour plutôt en désaccord avec l’idée de CRS qui auraient opté pour la stratégie d’évitement. Petite leçon de tactique policière sous forme d’intelligence des mouvements de foule : « Dire que les CRS ne veulent pas d’affrontement, qu’ils n’interviennent pas, c’est faux. La réalité est plus complexe. Notre réponse doit être précise, objective. Nous devons savoir si l’intervention ne va pas aggraver la situation. L’ordre public, ce n’est pas une urgence. La riposte doit être proportionnelle à l’incident de départ. Il existe toute une série de tactiques et de techniques qui nous permettent de canaliser une foule, différents niveaux d’interventions, de même qu’il y a différents niveaux de protection du personnel : le CRS en patrouille n’est pas forcément le robocop avec des moyens lourds. Tout a son dosage. L’intervention a lieu, mais pas forcément dans les conditions attendues par les médias ou par le public. Le fait, parfois, de ne pas intervenir est quand même une forme d’intervention. » [32]

Défaite au stade de France

Pendant ce temps, la détermination des émeutiers s’amplifie3. La carte des événements est impressionnante de régularité. Les premiers jours, on assiste à une forme de contagion concentrique. D’abord Clichy-sous-Bois, puis Monfermeil, puis Bondy, Aulnay, etc. De proche en proche, d’amis en copains de collèges, de joueurs de foot en voisins, d’Est en Ouest. Certains jeunes viendront prêter main forte sans qu’il n’y ait incidents dans leur commune. Puis les médias feront caisse de résonance. Entre temps, les responsables de la police ont perdu un match. Littéralement. Cela se déroule à Saint-Denis, le 2 novembre 2005, au Stade de France, six jours après le début des événements. Huit cents policiers dont certains commissaires sont réquisitionnés pour le match à risques Lille-Manchester. Ce soir là, la région parisienne va connaître son pic de violences. L’affaire est restée confidentielle. Elle est d’envergure. Un policier du département parle d’erreur de projection de la part de la police nationale : « Ça fait un moment qu’on dit que c’est un problème, ces forces de police concentrées pour les matchs… Mais ils pensent que les émeutes vont commencer tard, sauf que, en hiver, la nuit tombe tôt, donc ça va commencer très tôt, vers 18 h 30. » [33] Et le match, lui, va finir tard, vers 22h30. Entre temps, les émeutes basculent et changent d’échelle. C’est à cet instant précis qu’elles sortent, aussi, du « schéma classique », quasi routinier. Les émeutes ne seront plus locales, mais départementales, bientôt régionales et, enfin, nationales. Un moment pivot dans la chronologie, comme à Aulnay-sous-Bois. Une antenne de police est attaquée. Une concession Renault part en flammes, le monde entier verra ces images. Et une équipe de France Télévisions filme son propre naufrage : sa voiture attaquée puis incendiée sous ses yeux et son objectif. Des policiers se souviennent : « Le mercredi soir, on voit tout s’écrouler… » « Le Mercredi soir, c’était un enfer pour moi, pour nous. Parce qu’ils nous font des attaques frontales comme on en a très rarement ici. Ce soir-là, ils nous font simultanément sept ou huit points. Ils nous font Renault, ils nous font les sapeurs pompiers. Ils nous prennent dans tous les sens et on a du mal à répondre à la demande. » [34] Ce mercredi soir, mercredi noir, « dans une telle situation, même Napoléon ne s’en serait pas sorti… » [35] . A Aulnay-sous-Bois, avant le match, on compte une centaine de policiers. Le double, après le coup de sifflet final. Un élu local : « Toute la journée, on essaie d’obtenir des forces supplémentaires… en plus, par des canaux, principalement associatifs, on apprend que ce sera pire le mercredi et qu’ils viseront des symboles municipaux… On n’obtiendra rien… On dit que ce n’est pas suffisant mais c’est le PC de Bobigny qui décide… » [36]

Ces faits ne sont pas là de simples remarques corporatistes. Encore moins des aveux d’impuissance déguisés. Le procureur de la République lui-même parle spontanément de cet événement occulté : « On ne peut s’empêcher de faire la liaison entre les épisodes de violences urbaines et la tenue de ce match au stade de France qui mobilisait la présence de très nombreux policiers. C’est acquis. » [37] Dans une lettre célèbre, mais qui aurait dû rester confidentielle, adressée à la Direction générale de la police nationale, le Préfet de Seine Saint-Denis évoquera onze mois plus tard la question comme l’un des problèmes majeurs auxquels ses services doivent faire face. [38]

Invité sur la chaîne d’information en continu iTélé, Nicolas Sarkozy livrera, lui, sa version des faits le lendemain. Ses services ont inspecté les studios de la chaîne de fond en comble, avec détecteurs de métaux et présence policière. Le ministre de l’Intérieur a les traits tirés, il semble las, aux aguets, terriblement anxieux. L’émission est enregistrée. La vision des faits par le ministre de l’Intérieur ne concorde absolument pas avec le ressenti des hommes de terrain. Son hôte, un ami de longue date, Jacques Chancel, commence par lui demander de commenter la nuit du 2 au 3 novembre. Nicolas Sarkozy souffle : « Ce à quoi nous avons assisté dans le département de la Seine-Saint-Denis cette nuit, n’avait rien de spontané, était parfaitement organisé. Nous sommes en train de rechercher par qui et comment ». Il ne fallait pourtant pas chercher bien loin : c’est plutôt la parfaite désorganisation de la police qui était là, en partie, en cause. Un mois plus tard, dans la relative et amicale discrétion d’un congrès syndical de police, qui se tiendra à La Baule, Nicolas Sarkozy avouera à demi-mot que la police était, dans un premier temps du moins, déroutée face à de tels événements : « En réponse à certaines de vos interrogations, je peux vous dire que ces évènements nous ont conduits à renforcer et adapter les matériels et les tenues. J’en veux comme exemple l’acquisition des près de 460 Flash-Ball, 5 500 casques de maintien de l’ordre pare-coups, 875 casques pare-balles, 6 700 bliniz [39], 2 785 dispositifs manuels de protection, plus de 2 800 grenades lacrymogènes. » [40] Car c’est ainsi, chaque grande période de trouble engendre des évolutions internes à la police. Parfois même, des changements de doctrines, d’orientations, de stratégies globales. Par petites touches, ou brutalement. C’est selon. Le maintien de l’ordre, c’est aussi et encore bien cela : une affaire de mémoire.


> Article initialement publié sur davduf.net

Images de Une  : Philippe Leroyer

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