OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Le modèle Beezik décortiqué http://owni.fr/2011/02/14/le-modele-beezik-decortique/ http://owni.fr/2011/02/14/le-modele-beezik-decortique/#comments Mon, 14 Feb 2011 11:00:07 +0000 Caroline J. http://owni.fr/?p=30268 Caroline J. vit au Québec et écrit sur le blog EntertainD

Aujourd’hui, je vous présente un petit bijou d’Internet que j’ai découvert et qui, selon moi, représente une véritable révolution dans le monde de la musique: Beezik . Enfin un concept qui ravit tout le monde : une plateforme de téléchargement de musique gratuite ET légale !

L’entreprise naît en 2009 d’un constat très simple : depuis 10 ans, les internautes rechignent à payer pour l’achat de musique. Beaucoup de sites d’écoute de musique apparaissent, mais cela oblige toujours les utilisateurs à rester connectés devant leurs ordinateurs. Ainsi, pour se démarquer, les fondateurs de Beezik ont choisi de miser sur la portabilité des morceaux en créant le premier site de téléchargement de musique entièrement gratuit et légal. Mais comment rentabiliser le site sans faire payer l’utilisateur?

Publicité : oui, mais pas n’importe comment !

Toujours la même recette : la publicité. Mais avec modernité et originalité !
1) une première publicité audiovisuelle apparaît pendant le téléchargement, mais pas n’importe laquelle : celle que vous aurez choisie auparavant parmi les 4 marques qui vous auront été proposées (et il y en a pour tous les goûts!) ;
2) une fois sur votre ordinateur, une publicité fixe de la marque choisie est accolée à l’image du titre extrait ;
3) cette même publicité apparaît sur tous les supports d’écoute où le morceau est exporté (dont la nouvelle application pour iPhone et iPod), car les fondateurs ont optimisé le téléchargement pour proposer des titres sans DRM.
4) et comme si cela ne suffisait pas, à la fin de la procédure, vous êtes récompensé de 0,30€ à dépenser chez les sites transactionnels partenaires.`

Le revers de la médaille

La majorité des revenus du site vient des publicités visualisées pendant le téléchargement. Ainsi, pour survivre, le site doit s’assurer de nombreux annonceurs et donc proposer un concept avantageux à ces marques. C’est là que Beezik devient innovant : en plus de choisir votre publicité, le site ne vous laisse que quelques secondes pour confirmer votre téléchargement. Les fondateurs assurent ainsi à leurs clients annonceurs une grande visibilité : la promesse de visionnage complet de la publicité par les internautes incite les marques à signer.

Mais ça ne s’arrête pas là, la visibilité de la marque est renforcée par sa présence en dessous du titre sur chaque support utilisé. Et, bien sûr, comme c’est l’utilisateur qui a choisi la marque publicisée, l’annonceur est certain de rejoindre un public intéressé. C’est grâce à ce concept intelligent que Beezik a déjà réuni plus de 40 marques et non des moindres : Nike, EMI, Mc Donald, Blackberry…
Et ça rapporte gros! A 25 centimes le clic (pour l’annonceur) et avec plus d’un million de membres, il est certain que la jeune start-up Beezik est vouée à devenir une grande entreprise (Source : Techcrunch).
Enfin, la récompense de 0,30€ par téléchargement est aussi, selon moi, une publicité détournée. Après avoir téléchargé plusieurs morceaux (et donc avoir amassé quelques euros), l’internaute est tenté de dépenser la somme acquise chez les sites partenaires. Et Beezik reçoit certainement un pourcentage des ventes pour la redirection des internautes vers ses partenaires, ce qui assure encore une fois la rentabilité du site.

Et les artistes ???

Bien sûr, une partie des revenus est reversée aux artistes et autres ayant-droits (maisons de production…). Mais les spécialistes du domaine restent partagés : les revenus de ce type de commerce ne sont pas aussi importants que ceux de la vente de disques, ou même de la vente de titres numériques. Et les maisons de production commencent à s’interroger sur l’avenir de la musique face au commerce électronique musical de plus en plus populaire.
Les artistes ont déjà envahi le web pour leur promotion : ils sont maintenant présents sur les réseaux sociaux, créent leur propre site, et profitent des nouvelles chaînes musicales sur internet. De leur côté, bien qu’ils aient accepté cette évolution dans la promotion des artistes et de leurs disques, les producteurs ne sont pas encore prêts à transposer cette révolution dans la distribution de leur musique sur la toile.

Beezik pose la question de la viabilité du modèle de téléchargement sponsorisé par la publicité (après le streaming, avec Spotify et Deezer notamment) mais semble pour le moment être une alternative satisfaisante aux plateformes classiques. Il sera intéressant d’observer l’évolution de ce business model dans les mois à venir.

Article initialement publié sur le blog EntertainD.

Crédits photos : FlickR CC allthatimprobableblue

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Hadopi: drame dans la maison close et poney rose http://owni.fr/2010/10/06/hadopi-drame-dans-la-maison-close-et-poney-rose/ http://owni.fr/2010/10/06/hadopi-drame-dans-la-maison-close-et-poney-rose/#comments Wed, 06 Oct 2010 12:20:42 +0000 Korben http://owni.fr/?p=30597 Journée chargée en actualité aujourd’hui… Déjà, on se rend compte que Delarue n’est pas le seul à avoir des petits problèmes « de santé » quand on voit que des gens (sains d’esprit) ont condamné un seul mec à rembourser 5 milliards d’euros. Je ne sais pas si je dois en rire ou en pleurer mais j’ai un vague sentiment que la justice s’américanise pour faire le show au-delà de toute logique et rationalité.

Bref, je ne me risque pas sur ce terrain glissant car je n’ai pas activé TOR… et je préfère revenir à un sujet qui nous fait vraiment marrer : Hadopi !

Déjà, je ne sais pas si vous avez suivi, mais Nathalie Kosciusko-Morizet a déclaré ce matin sur RMC :

Ce qui est important c’est qu’après des mois et des mois de polémique, le système est en place et on va pouvoir passer à autre chose. Ce que je crois c’est qu’on aura gagné la bataille le jour où l’Hadopi ne servira plus à rien. C’est-à-dire le jour où l’offre légale sera tellement chouette, tellement intuitive, tellement mieux, que vous ne vous poserez même pas la question d’aller chercher illégalement d’une manière beaucoup plus compliquée, avec beaucoup moins de qualité.

Tellement « chouette » cette Nathalie… J’ai de la sympathie pour elle car elle porte bien les bottes mais au-delà de ça, j’ai quand même l’impression que le soir, après le boulot, elle remonte sur son petit poney rose, et s’envole au pays des double-rainbows pour invoquer le pouvoir des fleurs, afin qu’un jour, les Hommes se mettent à vivre en paix et puissent télécharger de la musique sous DRM, sans y passer tout leur Smic, sur des plateforme légales, et avec le sourire…

Le problème, c’est que pour le moment, l’offre légale, c’est du Toblerone de poney. Les offres sont moisies et le peu de sites qui sont potables s’en sortent difficilement (genre Deezer), et je ne vous parle pas de Jiwa qui vient de disparaitre… alors que pendant ce temps là, on balance 12 millions d’euros dans l’Hadopi juste pour faire chier les internautes, leurrer les petits artistes et mettre en place l’infrastructure nécessaire au contrôle d’Internet par la classe dirigeante (DPI mon amour, quand vas-tu arriver ?).

Je suis sûr que NKM trouve que Hadopi c’est pas très très gentil, que la fermeture de Jiwa c’est très très très regrettable et que l’offre légale n’est pas pas pas pas assez développée… Mais comme ma soeur Anne qui ne voit rien venir, je commence à désespérer de voir un jour une « offre légale chouette » et le peu d’espoir que j’avais placé dans la « reine des geeks » pour remonter le niveau de bon sens du gouvernement, commence à disparaitre comme neige au soleil en grande partie à cause de son inaction (ou des batons qu’on lui met dans les roues ? Comment savoir ?).

Moi aussi j’aimerais guérir le monde de sa tristesse avec des bisous de bisounours…

Au-delà de ça, ce qui m’a quand même interpellé aujourd’hui, c’est que tous les FAI ont collaboré avec la Haute autorité en balançant lâchement leurs abonnés trop neuneus pour télécharger leurs compils NRJ sans chiffrement. Limite, ils y sont allés de bon coeur et pour certains, en avance sur le planning…

Free joue sur le flou de la loi

Tous les FAI ? Non, car un seul FAI résiste encore et toujours à la connerie ambiante, non content de se faire un bon coup de pub, tout en défendant ses clients : Free !

Ce FAI de rebelzzz n’a pas envoyé le mail Hadopi à ses abonnés chopés en plein download. L’explication est simple : les FAI se doivent de balancer votre nom à Hadopi, une fois que votre IP a été récupérée par TMG. S’ils ne le font pas, ils se prennent 1500 euros d’amende par identification non communiquée. Mais par contre, rien ne les oblige dans la loi, à prévenir les abonnés qui se sont fait choper par Hadopi. Le non-envoi de mail n’est pas sanctionné… Du coup, Free joue avec la loi (tout en la respectant à la lettre) et en profite pour rappeler au ministère de la Culture que les frais engagés pour permettre l’envoi de ces mails, doivent être remboursés par l’Etat (décision du Conseil Constitutionnel).

Évidemment, Free n’a pas consulté l’avis de ses clients avant de se lancer sur ce terrain, car ça en aurait effrayé plus d’un. En effet, si vous êtes chez Free, peut-être continuez-vous à télécharger alors que, n’ayant pas été prévenu, vous êtes en train de griller vos cartouches de riposte graduée. Ça vous fera peut être hurler, mais je pense que la stratégie est bonne car elle ébranle Hadopi qui du coup ne sait plus dans quel sens pédaler… On ne pourra pas couper la connexion des internautes de Free chopés par l’Hadopi car ceux-ci n’auront même pas été informés. Ça ne serait pas juste, ça ne serait pas en conformité avec ce que dit la loi et du coup, je suis sûr que ça ne se fera pas.

Free ne risque donc pas grand chose en faisant cela, et ses abonnés non plus. Reste à voir maintenant jusqu’où ce statu quo va aller, mais d’après France Inter, SFR s’apprête à rejoindre Free dans cette action.

… et se fait traiter de “preneur d’otages” par Éric Walter

Évidemment, je garde la partie comique pour la fin, car sans se faire attendre, Éric Walter, chef de la tribu des Hadopistes a réagi en qualifiant Free de preneur d’otages… En un sens, c’est vrai, mais si les otages (nous les abonnés) sont consentants, je vois plutôt ça comme une armée d’anti-Hadopi retranchés derrière leur forteresse Free. Certains appelleront ça le syndrome de Stockholm mais je crois plutôt qu’il s’agit de bon sens et d’une volonté à ne pas vouloir se la faire mettre profond par ces empêcheurs de surfer librement.

Genre le SNEP qui se jette sur son clavier pour balancer un communiqué de presse afin de gueuler contre Free, les accusant de concurrence déloyale vis-à-vis des autres FAI (non mais de quoi je me mêle…) et de « racolage » vis-à-vis des internautes téléchargeurs. Racolage ! C’est bon ça… Le SNEP qui traite Free de pute… D’ailleurs, si Free est une pute, j’ai l’impression que c’est celle qui s’est enfuie de sa maison close, faisant beaucoup de peine aux clients réguliers… ;-)

D’ailleurs, Hadopi qui qualifie Free de preneur d’otages, c’est l’hôpital qui se fout de la charité… Car pour le moment, les preneurs d’otages qui veulent décapiter les internautes à grands coups de renforts médiatiques, sur l’autel de la Culture nivelée par le bas, ce ne sont pas ceux qu’on croit.

J’en parlais avec un pote, il y a quelques jours… Plus le ministère de la Culture fait la chasse aux tipiakeurs, plus la diversité de la « culture » s’appauvrit… À la belle époque du peer-to-peer, on pouvait trouver des perles… des chansons ou des artistes peu connus, ou alternatifs, qu’actuellement, on ne trouve plus dans le circuit culturel traditionnel. Les gens se faisaient découvrir les uns les autres toute cette musique « underground », favorisant la diffusion de cette culture non grand public et l’émergence de petits artistes.

Mais avec l’arrivée des contrôles Hadopi et compagnie, toute cette culture rare, reste bien planquée au fond des disques dur et des CDs des connaisseurs, qui ne la partagent plus, ce qui prive ainsi toute une partie de la population qui ne soupçonne même pas l’existence de tel ou tel groupe, ou de telle ou telle chanson… À croire que si ça n’est pas à la Fnac, ça n’existe pas ! Mais c’est faux, ça existe, c’est là mais ça disparait petit à petit des radars, à cause de mecs comme lui qui sous prétexte de défendre la culture française, l’appauvrissent et la rendent triste à mourir. Ce problème de « culture » n’est en fait qu’un problème de pognon propre aux diffuseurs de culture mainstream (NRJ-style).

Appauvrissement culturel

Moi-même qui, il y a plusieurs années, partait en recherche de pépites musicales sur les réseaux peer-to-peer, je ne fais plus cet effort… J’ai capitulé et je n’écoute plus vraiment ce que j’ai choisi d’écouter et ce que j’aime vraiment. Je me contente la plupart du temps d’allumer la radio et d’écouter, sans spécialement apprécier, ce qu’on entend sur toutes les stations (qui est globalement la même chose) et je n’ai plus rien sur mon disque dur malheureusement. Alors effectivement, je manque de temps pour me replonger dans eMule comme au bon vieux temps mais les rares fois où je l’ai fait, pensant retrouver un morceau coup de coeur d’il y a quelques années, ce fut le désert… Le contenu a disparu. Les gens ne partagent plus, n’échangent plus, et se contente de consommer la même chose qu’à la radio ou à la TV mais en passant par le direct download. Plus moyen d’aller voir la liste de partage de tel ou tel pote pour retrouver des pépites, et pas moyen de trouver l’artiste qui m’intéressait à la Fnac ou sur Amazon. Artistes disparus ou trop petits pour être réédités, et c’est du bonheur qui part au fond des chiottes.

Dommage !

Je rêve qu’on retrouve cela, que chacun rallume son disque externe avec 3 To de MP3 classés aux petit oignons et les mette à disposition de tous sur la mule, permettant ainsi à nouveau les échanges et le partage propre à l’idée même de peer-to-peer que j’avais découvert avec Napster… Alalalala… Les offres légales existent à peine, alors la diversité musicale à l’intérieur de ces offres légale, je ne vous en parle même pas tellement elle est proche de nul. La solution du partage et de la rémunération : la licence légale…

Bon, j’ai les doigts qui chauffent, alors j’arrête de faire ma NKM en rêvant qu’un monde meilleur arrive sans avoir à bouger le petit doigt, et je vous dis à bientôt pour de nouvelles aventures comiques avec Hadopi et ses amis.

Billet initialement publié chez Korben

À lire aussi : Jiwa : la musique en ligne, un business de riches ?

Image CC Flickr jessica mullen

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Droit d’auteur, vie privée et filtrage du Net: l’agenda de l’UE sur dix ans http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/ http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/#comments Fri, 25 Jun 2010 12:25:09 +0000 Michèle Battisti http://owni.fr/?p=20195

À paraître sur dans la rubrique “Des brèves sur l’actualité” sur le site de l’ADBS

Que l’on veuille tirer parti des technologies du numérique pour accompagner le vieillissement de la population et les défis climatiques, on ne peut que souscrire à un tel projet ! Mais puisque de l’inévitable comparaison avec les standards nord-américains[1], il ressort que la productivité européenne n’est pas à la hauteur des investissements consacrés à la R&D, que, par ailleurs, 30% de la population européenne n’utilise pas encore l’Internet et que 80% des lignes sont trop lentes pour certaines applications, la Commission européenne, a défini sept domaines d’action [2] qui doivent lui permettre de rejoindre les chiffres des États-Unis.

Il aurait été léger, de notre part, de ne pas examiner les objectifs visés par la Commission européenne en matière d’Internet et de technologies du numérique à l’horizon 2020 [5] [6], dévoilés le 19 mai 2010, ne serait-ce que parce qu’ils touchent étroitement diverses questions liées au droit d’auteur et au filtrage du Net [2] [4], deux aspects au centre de nos préoccupations.

Négligeant de ce fait d’aborder aujourd’hui les mesures qui visent à stimuler les investissements dans le haut débit et les réseaux, la recherche de pointe et l’innovation, à améliorer la compétence des citoyens dans le domaine numérique (ce qui attirera inévitablement l’attention des « travailleurs du savoir » que nous sommes[3]) et à créer des outils dans le domaine de l’énergie, au service des personnes âgées ou handicapées et des patients…, nous n’examinerons que la mesure 1.1, qui vise à ouvrir l’accès aux contenus numériques, la mesure 3 qui vise à améliorer la confiance et la sécurité, et la mesure 4.3 relative à la neutralité de l’Internet.

Soutenir le droit d’auteur

  • Favoriser l’émergence d’une offre légale attractive

Proposer une directive sur les œuvres orphelines dès 2010, faire adopter des mesures destinées à régler la question des œuvres épuisées et accompagner ces dispositifs par des registres gérant ces œuvres, telles sont les premières dispositions (1.1) qui ont attiré notre attention. On les reliera aux mesures prises pour promouvoir la diversité culturelle et le contenu créatif (7.3),  qui se traduisent par des mécanismes adoptés pour stimuler notamment la numérisation du patrimoine culturel européen (récent a-t-on ajouté, ce qui est à la fois vague et réducteur) financés grâce à des partenariats entre secteur public et privé, pour lesquels un comité des sages[4] est chargé de proposer un modèle économique durable.

Toujours pour favoriser « l’émergence d’un marché numérique dynamique », premier des objectifs définis, la Commission européenne entend aussi faciliter la gestion des droits en rendant les sociétés de gestion collective plus transparentes et en donnant l’opportunité aux titulaires des droits sur les œuvres de proposer des licences transnationales et paneuropéennes. La Commission européenne envisage d’étendre ces mesures, jusqu’à présent cantonnées au secteur de la musique, une velléité ancienne[5], au secteur de l’audiovisuel.

Autant de mesures devant faire émerger une offre légale attractive, ce qui devrait à la fois répondre aux attentes des ayants droits, qui seraient rémunérés, et du public, qui aurait ainsi accès à l’information dans des condition satisfaisantes, et donner ainsi une « réponse efficace au piratage »[6]. Mais on soulignera, comme la Quadrature du Net [4], qu’il s’agit d’une vision bien traditionnelle qui, se bornant à transposer le monde analogique au monde numérique, n’est pas vraiment innovante et risque de ne pas rencontrer le consensus attendu.

  • Les mesures répressives

La Commission européenne qui entend « ouvrir les contenus », entend aussi lutter contre la contrefaçon. Si ce dernier point est largement développé dans l’article de La Quadrature du Net [4] qui avait accès à l’une des versions de travail de la Commission et qui suit de près cette question, cet aspect est à peine esquissé dans la version finale du texte de la Commission européenne. Elle se borne, en effet, à annoncer un réexamen de la directive européenne sur le respect des droits de la propriété intellectuelle et des mesures supplémentaires, dès 2012, après avoir consulté les divers acteurs concernés. La Commission affirme que si de nouvelles dispositions devaient être prises, elles tiendront compte des garanties fournies par cadre légal des télécommunications et des droits fondamentaux sur la protection des données et de la vie privée.

Mais l’on sait déjà que plusieurs mesures pourraient être prochainement envisagées qui faisant « écho » au rapport Gallo [7] et à Acta [8], généraliseraient le filtrage des réseaux et la riposte graduée, mesures qu’il conviendrait aussi d’encadrer pour éviter des dérives. En ce qui concerne la directive européenne qui vient d’être mentionnée, la Quadradure du Net et les associations représentant les bibliothèques, comme Eblida[9], avaient déjà souligné les dangers de la mention d’ « échelle commerciale » appliquée aux sanctions, qui risque « d’inclure des activités à but non lucratif entre individus telles que le partage de fichiers », incitant ces associations à « militer pour que les sanctions ne concernent que des infractions délibérées et à but lucratif » et à attirer l’attention sur le fait que non seulement les mesures envisagées seraient disproportionnées mais également inefficaces. La même préconisation a été faite par le Parlement européen [9].

Policer la « cyberjungle » [4]

Faire face aux virus et aux spams, lutter contre pédopornographie par des actions de sensibilisation et de formation, organiser des systèmes d’alerte au niveau européen et mondial, on y souscrit totalement ; adopter des mesures techniques sur la gestion des données personnelles dès la conception des produits, obliger les opérateurs à notifier les intrusions dont ils auraient été victimes, tout autant.

Mais on ne peut manquer de constater que la Commission européenne évoque aussi des mesures destinées à bloquer les contenus préjudiciables et à en empêcher la visualisation. Or, en présentant la Loppsi, un projet de loi français sur la sécurité intérieure, on avait déjà souligné que les filtres étaient souvent inefficaces[10] et qu’ils posaient des problèmes pour la liberté d’expression. Les systèmes d’alerte, sur lesquels d’ailleurs la Commission a largement mis l’accent dans son programme, seraient suffisants et bien plus satisfaisants.

En ce qui concerne la neutralité du Net, concept auquel le Parlement européen est très attaché, la Commission européenne annonce vouloir préserver le caractère ouvert et neutre, mais entend néanmoins organiser rapidement une consultation pour évaluer l’encadrement nécessaire. Pour mettre en œuvre des mesures qui pourraient s’imposer, elle affirme, fort heureusement aussi, vouloir tenir compte « d’autres impératifs comme la liberté d’expression, la transparence, investir dans des réseaux ouverts et efficaces, loyauté de la concurrence et ouverture à des modèles d’activité innovants ».

« Deux programmes, une Union européenne »

C’est ce qu’avait souligné malicieusement, ou avec inquiétude, l’auteur du billet d’Edri-gram [2]. Dans le jeu européen, les trois institutions – Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l’Union européenne – ont le même poids. Or, si la Commission européenne « quitte ses positions conservatrices », ce n’est que « timidement » [4]. On n’y trouve pas encore, par exemple, cette référence à la « cinquième liberté », qui figure dans le texte du Parlement européen [6], liberté qui assure la libre circulation des contenus et de la connaissance et qui a poussé cette institution à demander à ce que soient de prime abord sanctionnés les usages commerciaux des œuvres contrefaisantes. N’a-t-on pas souligné aussi [4] [11]que la Commission européenne n’a finalement pas repris dans la version définitive du texte les dispositions relatives aux standards ouverts qui figuraient dans les versions précédentes, ce qui bloque le développement des logiciel libres [4], une lacune qui pourrait être lourde de conséquences ?

D’ici quelques mois nous saurons comment les arbitrages seront faits pour entrer dans ce ce fameux cercle vertueux de l’économie numérique, seul graphique du document dont je ne manquerai pas souligner, qu’en dehors de la cybercriminalité, les termes sont quasiment identiques à ceux que j’avais découverts en 1994 dans le rapport Bangeman destiné lui aussi à renforcer la compétitivité européenne de l’industrie de l’information.


Notes

[1] Ce qui ne lasse pas de m’étonner. Et si l’on prenait le temps de  définir des critères européens, le modèle américain n’étant pas forcément la panacée ?

[2] Sept objectifs: 1) créer un marché unique numérique,  2) accroître l’interopérabilité, 3) renforcer la sécurité de l’internet et la confiance des utilisateurs, 4) permettre un accès plus rapide à l’internet, 5) augmenter les investissements dans la recherche et le développement, 6) améliorer les compétences numériques et l’intégration, 7) utiliser les technologies de l’information et des communications pour relever les défis auxquels la société doit faire face, tels que le changement climatique et le vieillissement de la population.

[3] Mesure 6. Favoriser la culture, les compétences et l’intégration économique. Un aspect que l’IABD avait mis en exergue lors de son atelier organisé dans le cadre des Assises du numérique le 20 juin 2008 et qui avait été repris dans le rapport des Assises. Consulter «  Les services de bibliothèque et de documentation, acteurs de la chaîne numérique ». Sur le site de l’IABD

[4] Une législation européenne pour les œuvres orphelines. Beaucoup de bruit pour rien ? , ADI, 26 avril 2010

[5] Droits musicaux. Remise en cause des monopoles nationaux. ADI,  23 juillet 2008

[6] Ce qui  est l’objectif  d’Hadopi 3 en France,   projet de loi dont le texte semble n’avoir pas encore circulé. Voir : Hadopi 3 pour la question des dommages et intérêts, ADI, 23 octobre 2009 ou le dossier intitulé  Un modèle économique pour l’offre légale culturelle en ligne », M.B., ADI, 18 janvier 2010

[7] Le rapport de l’eurodéputée Marielle Gallo a été adopté par la commission des affaires juridiques du Parlement européen. Il devrait faire l’objet d’un vote en séance plénière au début du mois de juillet. Parmi les nombreux articles publiés sur cette question : L‘UE tranche sur la propriété intellectuelle sur Internet, Boris Manenti, Nouvelobs.com, 1er juin 2010

[8] Ne pas oublier Acta ! ADI,  21 janvier 2010

[9] Voir notamment : Amended proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on criminal measures aimed at ensuring the enforcement of intellectual property rights – 2005/0127(COD). FFII/EFF/EBLIDA/BEUC coalition report on the proposal as amended in Strasbourg by the European Parliament at its first reading on Wednesday, 25 April, 2007. Sur le site de la Foundation for a Free information

[10] Loppsi : la question des techniques de filtrage, ADI, 15 février 2010

[11] A plusieurs reprises elle évoque effectivement le souci d’assurer l’équilibre entre les intérêts des titulaires de droits et du public

Références

  1. La stratégie numérique vue par la Commission européenne, Mylène Kamdom, Jurilexblog, 21 juin 2010
  2. Two Digital Agendas, But One European Union, Edri-gram, 19 May, 2010
  3. Stratégie numérique: un plan d’action de la Commission destiné à accroître la prospérité et la qualité de vie en Europe. Communiqué de presse IP/10/581, Commission européenne, 19 mai 2010
  4. UE : L’Agenda numérique de Neelie Kroes va-t-il compromettre les libertés? La Quadrature du Net, 17 mai 2010

Textes

5. Europe 2020. Une stratégie pour une croissance intelligente durable et inclusive. Commission européenne, mai 201

6. Une stratégie numérique pour l’Europe. Communication de la Commision au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions. COM(2010)245

7. Stratégie numérique pour L’Europe. La version de travail (en anglais) utilisée par La Quadrature du Net pour son analyse. Sur le site Pc-Inpact

8. Proposition de résolution du Parlement européen sur un nouvel agenda numérique pour l’Europe: 2015.eu. Sur le site du Parlement européen

9. A new Digital Agenda for Europe : 2015.eu. 5 May 2010. Sur le site du Parlement européen

10. EU Parliament calls for data rights charter, Out-Law.com, 7 May 2010

11. Lack of Open Standards “gaping hole” in EC’s Digital Agenda,Free Software Foundation, 19 May 2005

Billet initialement publié sur Paralipomènes ; images CC Flickr ksfoto et verbeeldingskr8

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http://owni.fr/2010/06/25/droit-d%e2%80%99auteur-vie-privee-et-filtrage-du-net-lagenda-de-lue-sur-dix-ans/feed/ 15
Musique: où est-ce qu’on paie? http://owni.fr/2010/06/21/musique-ou-est-ce-qu%e2%80%99on-paie/ http://owni.fr/2010/06/21/musique-ou-est-ce-qu%e2%80%99on-paie/#comments Mon, 21 Jun 2010 08:41:51 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=19333 La numérisation est un problème pour la musique depuis ses débuts, enfin depuis la seconde moitié années 1980 et l’apparition du disque compact audio. On nous disait que c’était le support miracle, qu’en écoutant Tannhäuser sur CD, on pourrait percevoir distinctement le son des feuilles des partitions et entendre les déglutissements d’Herbert Von Karajan. Un son si clair, si précis, que rien ne nous échapperait, le nirvāna des mélomanes les plus exigeants. Plus miraculeux encore, ce support était immortel. Je dis bien « était », car il ne l’est pas resté bien longtemps.

J’ai pris mon temps avant de venir au CD, car c’était très cher. Mon premier poste avec lecteur de CD date, je pense, du début des années 1990. Si les platines CD étaient hors de prix, les CD audio l’étaient aussi, et ils le sont restés. Je me souviens qu’un disque « 33 tours » valait quelque chose comme trente ou quarante francs alors que le CD audio, qui coûte pourtant moins cher à produire, se vendait au delà de cent francs. Les prix des CD neufs n’ont pas varié. Nous nous sommes cependant vite habitués à ces tarifs extravagants, nous avons reconstitué nos collections (puisque nous jetions nos platines vinyle, il fallait bien retrouver nos albums préférés sur ce nouveau support) et la musique enregistrée a connu une période faste, atteignant sans doute le plus incroyable chiffre d’affaires de toute son histoire, sans que cela profite toujours aux musiciens actuels. Comme l’a dit le batteur Manu Katché (1) :

La politique de certaines majors (…) a été de faire du fond de catalogue pendant des années, rééditant des trucs mille fois entendus, le tout emballé dans de pauvres pochettes faites à la va-vite. Je pense qu’ils ont fait plein d’erreurs et se rendent compte, au final, qu’ils sont en train de perdre leur pouvoir.

Le CD, cher et pourtant insatisfaisant

Pourtant, ce support s’est révélé assez insatisfaisant : même s’ils sont très solides, les CD seront un jour tués par l’oxydation, alors que les 78 tours de mes arrière-grands parents resteront toujours écoutables. Ce n’est pas tout. Les boitiers « cristal », qui sont les plus communs, sont fragiles et se cassent au premier choc. Leurs pochettes sont trop petites et elles ont cessé de nous faire rêver : impossible d’essayer d’identifier tous les personnages qui se trouvent sur la pochette de Sergent Pepper une fois le disque réduit de 60%. Les pochettes des 33 tours véhiculaient toute une culture de la musique que les livrets des CD n’ont jamais su remplacer à mon avis. Quand au son, les spécialistes disent parfois qu’il manque de la chaleur des disques analogiques et qu’il est mauvais dans les aigus, mais il est possible malgré tout que la qualité moyenne d’écoute des disques se soit améliorée depuis le CD, car la plupart des gens utilisaient des tourne-disques de qualité plutôt médiocre.

Pendant les années qui ont suivi, l’industrie a régulièrement tenté d’imposer de nouveaux supports numériques : le DAT, le MiniDisc ou encore le Super Audio CD. Mais la véritable révolution est venue d’aileurs : autour de 1995, il est devenu courant que les ordinateurs personnels soient équipés d’une carte son. Les systèmes « alternatifs » tels que le Macintosh, l’Atari ST ou l’Amiga étaient dotés de cartes sonores depuis longtemps, mais pour les PC dits « compatibles IBM », la chose ne date donc que de quinze ans. Par ailleurs, c’est aussi l’époque où les ordinateurs ont commencé à être équipés de lecteurs de CD-ROM (capables aussi de lire les CD audio et donc de les convertir en formats compactés) puis de graveurs de CD-ROM.

En partant faire mon marché ce matin je suis tombé sur ce CD audio "maison", abandonné sur la chaussée.

Il a fallu attendre encore quelques années pour que cela fonctionne vraiment bien — imaginez qu’à une certaine époque, lorsqu’on lançait un jeu vidéo, il fallait indiquer à celui-ci la marque et le modèle de notre carte son (et malheur à nous si elle n’était pas dans la liste) —, et cette période a correspondu avec l’explosion du réseau Internet, mais aussi celle du format de fichiers MP3 (qui permettait de ramener un titre musical à deux ou trois méga-octets contre une vingtaine pour un titre non-compressé) puis des systèmes d’échanges de fichiers en peer-to-peer : Audiogalaxy, Napster, Gnutella, eMule, BitTorrent, Kazaa, etc.

Puis vint l’échange de fichiers peer-to-peer

Au début, tout était très long et comportait une part de magie : trois personnes dans le monde possédaient un titre musical précis de manière complète, quelques autres personnes n’en avaient que des bribes, et le logiciel nous faisait télécharger un petit bout ici, un petit bout là… Nous sommes tous devenus un peu boulimiques, ne serait-ce que parce que le système était imparfait : pour être sûr d’avoir un morceau, il fallait parfois en télécharger plusieurs versions, dans des qualités diverses, parfois endommagés (à une certaine époque les maisons de disques se sont mises à diffuser des titres intentionnellement altérés, coupés, tronqués, ou, fin 2004, agrémentés d’un message d’Ariel Wizman vantant les mérites de la propriété intellectuelle).

J’ai passé des nuits à regarder des jauges colorées progresser, n’osant aller me coucher qu’à l’aube, à l’instant ou tel ou tel morceau atteindrait les 100%, ou lorsqu’une personne en train de le télécharger chez moi aurait eu fini de le faire, car oui, il s’agit réellement de partage. De nombreux morceaux que j’ai téléchargés n’étaient pas piratés ni volés selon mon jugement : je les avais déjà sur CD ou sur vinyle (j’en avais acquis la licence d’utilisation donc), j’aurais tout à fait pu prendre le temps de les enregistrer sur mon disque dur.

Pour d’autres morceaux, je me sentais moralement dans mon droit : Verruschka, par Edda del’Orso et Ennio Morricone, Saudosa Malauca par une dénommée Marlene ou les chansons swing d’Irène de Trébert n’existaient pas autrement — à l’époque en tout cas —, je n’aurais jamais pu me les procurer sur CD. Enfin, il m’est arrivé de nombreuses fois de télécharger des morceaux pour me documenter, pour voir ou pour rire, enfin pour les écouter, mais certainement pas dans l’idée de les conserver. Il a commencé à être normal pour moi de tout savoir, de me constituer une culture musicale dans des registres que je n’aurais pas pu explorer autrement : chanson réaliste des années trente ou chanson bollywoodienne par exemple… J’ai pu explorer le monde de la musique sans guide, sans aide, sans circuit tout tracé, un peu comme on découvre des livres au hasard dans une bibliothèque. Et j’ai plutôt aimé ça.
L’ouverture culturelle que le partage de fichiers a permis est peut-être ce qui a fait le plus de mal à l’industrie musicale, qui préfère vendre un morceau musical à un million d’exemplaires que cent morceaux différents à dix mille exemplaires en moyenne et qui a donc tout intérêt à ce que ses clients ne soient pas trop mélomanes, tout comme McDonald’s et Kentucky Fried Chicken n’ont pas grand intérêt à faire de leurs clients des gastronomes. Bien entendu, la plupart des gens qui travaillent dans les maisons de disques aiment intensément la musique, mais ce qui réunit les actionnaires de Sony-BMG, EMI, Universal et Warner est plus la perspective de profit que l’amour de l’art.

Avec leur film "Intersella 5555", les Daft Punk placent derrière l'industrie de la musique un homme d'origine extra-terrestre qui collectionne l'or dans le but de conquérir l'univers entier. Les artistes, à qui il fait perdre toute joie de vivre et jusqu'au souvenir de ce qu'ils sont, sont ses victimes.

Cependant, malgré les bonnes raisons que je me donnais, je n’étais pas spécialement fier de moi d’un point de vue purement moral : un titre téléchargé sur Audiogalaxy ne rapporte rien à son auteur et je n’ai jamais pu l’ignorer.
Dès que ça s’est avéré possible, j’ai commencé à acheter des morceaux numériques, sur des plates-formes telles que VirginMega ou Fnacmusic ou encore JAM Label, qui a déposé le bilan il y a trois ou quatre ans. Je ne suis pas passé par la boutique iTunes car le format de fichier vendu par Apple ne fonctionne ensuite qu’avec les baladeurs iPod et le logiciel iTunes.

Forcé de « cracker » des fichiers dont je suis pourtant le propriétaire légitime

Ma consommation de morceaux « légaux » a été un peu pingre : je n’ai acheté que les titres que je voulais acheter, à l’unité, — quasiment jamais d’albums complets — et toujours par conviction morale, en sachant pertinemment que j’aurais pu me les procurer autrement. En deux ou trois ans, j’ai dû acheter plus d’une centaine de titres (au prix d’un euro chaque fois), mais guère plus.
Et puis un jour j’ai changé d’ordinateur. Lorsque j’ai récupéré tous mes fichiers musicaux, ceux-ci m’ont averti qu’ils devaient télécharger leur licence (c’est à dire demander au serveur du distributeur si j’avais le droit de les utiliser). Cela a bien fonctionné, mais mon système avait un défaut et j’ai dû reformater mon disque une fois, puis deux… Pour apprendre ensuite à mes dépens que les titres que j’avais acquis ne voudraient, ne pourraient plus jamais être lus : les changements de mon système d’exploitation étaient considérés comme une diffusion sur plusieurs machines. Il y aurait en fait eu une manipulation à faire — trouver le dossier contenant les DRM, puis le sauvegarder et le transférer sur le nouveau système… Mais je ne savais rien de tout ça.
C’est un peu comme si mes CD audio avaient cessé de fonctionner après que j’ai changé de tourne-disque ou après que mon disquaire ait eu déposé le bilan — c’est arrivé aux malheureux qui ont acheté de la musique en ligne par l’intermédiaire du service créé par Wallmart : lorsque ce service a disparu, la musique achetée par son entremise est devenue caduque.
Expérience désagréable. Je me suis procuré par la suite un logiciel permettant de supprimer la protection DRM de mes fichiers, mais la situation n’a rien d’agréable : forcé de pirater, de « cracker » des fichiers dont je suis pourtant le propriétaire légitime.

Toujours dans Interstella 5555 (Kazuhisa Takenouchi/Leiji Matsumoto/Daft Punk, 2003), le diabolique comte de Darkwood finit par être victime de sa propre obsession de l'or. Le Duo Daft Punk a toujours été en lutte contre l'organisation de l'industrie musicale et, notamment, contre la Sacem.

J’achète encore un peu de musique en ligne, mais uniquement lorsqu’il est possible de l’obtenir au format MP3, qui n’est pas protégé. Pour l’essentiel, je consomme à présent la musique sous forme de flux à la demande, c’est à dire à l’aide de plate-formes telles que Deezer, Jiwa et Spotify. On n’y trouve pas tout mais il y a beaucoup de choses et, donc, les auteurs perçoivent une rémunération pour chaque écoute, ce qui a un avantage théorique pour eux : un même morceau, avec le même auditeur, peut rapporter des royalties autant de fois que l’auditeur aura écouté le morceau, tandis qu’une acquisition de licence (disque, morceau téléchargeable) est unique et définitive.

Le streaming ne rapporte quasiment rien aux artistes

Tout est au mieux dans le meilleur des mondes avec la musique en streaming ? Pas sûr ! Un ami qui travaille pour l’industrie musicale attire mon attention sur le fait que le streaming ne rapporte quasiment rien aux artistes : « le stream, c’est un miroir aux alouettes. Les Américains freinent à mort. » J’aurais dû m’en douter : moi-même je ne paie pas pour utiliser Spotify ou Deezer, je ne regarde pas les publicités animées qu’ils diffusent (qui regarde son poste radio ?), je n’écoute que distraitement les pubs audio, qui pour la plupart concernent de la musique, ce qui est faussement approprié au contexte : on n’aime pas spécialement être interrompu par un extrait de morceau musical alors qu’on était en train d’en écouter un autre… L’effet est plutôt répulsif, je ne pense pas avoir cliqué une seule fois sur une publicité de Deezer ou de Spotify, ou alors par erreur, en bougeant une fenêtre et en ne cliquant pas où je voulais cliquer, comme ça arrive parfois. Un modèle économique qui compte sur le fait que les gens cliquent par erreur n’est pas nécessairement très sain.

Il existe des versions « premium » de Deezer et de Spotify, pour lesquelles on doit payer chaque mois, mais je ne sais pas qui y a recours et pour l’instant ils ne me tentent pas spécialement. Mon ami me dit :

Je pense que Spotify et Deezer ont fait des erreurs depuis le début, notamment en rendant pratiquement toutes les options accessibles gratuitement (récemment, celle d’intégrer sa propre bibliothèque, qui rend Spotify concurrent direct de iTunes) alors que c’était un argument supplémentaire pour pousser les utilisateurs à s’abonner.

Alors que je suis en train d'écouter de la house norvégienne, Spotify m'impose une publicité pour le nouvel album de Christina Aguilera. Erreur : si la publicité concernait une boisson ou je ne sais quoi, j'aurais pu l'associer au plaisir de la musique que j'étais en train d'écouter, mais si on interrompt ma lecture pour me parler d'un autre genre de musique, j'ai du mal à y voir autre chose qu'un parasite.

Les chiffres sont en effet assez navrants. Lorsque j’écoute un morceau sur Spotify, son auteur va percevoir 0,00025 dollars. Il faudra que j’écoute ce même morceau quatre mille fois pour que l’auteur perçoive un dollar ! Avec Last.fm, la rémunération est deux fois plus importante : 0,00050 dollars soit 5/10000e d’un dollar. Avec Rhapsody, dédié aux artistes « indépendants », la rémunération atteint un cent par titre écouté, soit un dollar pour cent téléchargements : pas mal, comparé à toutes les autres plate-formes du genre.
Pour un titre téléchargé au tarif de 1 dollar sur iTunes ou sur Amazon, l’artiste perçoit aussi 1 cent, ce qui peut sembler assez médiocre. J’ignore combien perçoivent les maisons de disques qui se sont entendues avec Apple et Amazon sur de tels tarifs.
Passons aux supports physiques. Pour un CD « single » qui est vendu 5 dollars en magasin, la rémunération oscille entre 1,5 cent et 5 cents, selon le contrat. Le meilleur rapport, c’est le CD auto-produit et auto-diffusé, qui rapporte 80% de son prix à l’artiste. Selon ces chiffres, donc, vendre 143 CD auto-produits rapporte la même chose que d’être téléchargé 4 549 020 fois sur Spotify. Ouille !

Le meilleur rendement est peut-être celui des procès

Ceci dit, le meilleur rendement est peut-être celui des procès : la Recording Industry Association of America (RIAA) a fait condamner des internautes à des amendes qui dépassent l’entendement : 1 920 000 dollars pour 24 titres téléchargés par une dénommée Jammie Thomas (80 000 dollars par titre) et 675 dollars pour 30 titres téléchargés par un vingt-cinquenaire nommé Joel Tenenbaum (22 500 dollars par titre). Évidemment, ces amendes ne seront pas réellement payées, ceux qui y sont astreints n’en ayant pas du tout les moyens : il s’agit juste de faire des exemples et de semer la terreur dans les chaumières. On peut tout de même s’interroger sur les cours de justice qui calculent de tels montants : dans tous les systèmes judiciaires du monde, les amendes sont proportionnées au préjudice subi, or réclamer 80 000 dollars pour un bien qui rapporte un million de fois moins sur iTunes semble précisément disproportionné.
En fait je connais un cas encore plus rémunérateur : un ami musicien (appelons-le Florent P*, même si ça n’est pas son véritable nom) a perçu pendant six mois des droits très importants pour une chanson homonyme d’un titre qu’il avait déposé à la Sacem. Musicien professionnel mais peu fortuné, il n’avait pas eu le cœur de signaler à la Sacem ce trop-perçu illégitime de près d’une dizaine de milliers d’euros. Si je ne dis pas de bêtises, dix mille euros pour zéro titre est un ratio qui tend vers l’infini.

Et pendant ce temps-là, dans les supermarchés, on doit subir un R’n’B souvent médiocre et que l’on n’a jamais réclamé. Contrairement à ce que certains imaginent, cette diffusion-là n’est pas gratuite non plus. D’une part, la station de radio, financée par la publicité, reverse des royalties à la Sacem (en indiquant précisément quels morceaux ont été diffusés), et d’autre part le supermarché reverse lui aussi une somme forfaitaire importante à la Sacem, mais sans détailler les morceaux diffusés. L’argent sera redistribué entre ses sociétaires (et, disent les mauvaises langues, ses cadres et ses dirigeants) au prorata du succès des artistes. L’argent versé par le supermarché est répercuté sur le ticket de caisse.

On peut appeler ça une rente, on peut aussi trouver ça légitime même si l’équation ne manque parfois pas de bizarrerie : ma supérette, que je ne fréquente pas spécialement pour écouter de la musique, m’impose (et c’est quasiment de la publicité) une reprise rap horrible de Sweet Dreams ou de Fade to grey, deux titres de ma jeunesse que je supporte mal de voir altérés de cette manière. Une somme d’argent forfaitaire est reversée à la Sacem, qui redistribue au prorata des meilleures ventes de ses adhérents : en fait l’argent revient en grande partie au compositeur de Comme d’habitude. Quitte à favoriser la circulation de l’argent entre supermarchés, maisons de disques, artistes et banques, ne pourrait-on pas le faire en nous épargnant d’avoir à subir de la mauvaise musique quand on fait ses courses ? C’est juste une question.

Où est-ce que je veux en venir, avec tout ça ?

Où est-ce que je veux en venir, avec tout ça ? Eh bien à une autre question que je me pose depuis plus de dix ans, pour laquelle il me semble que l’on n’a pas beaucoup avancé et qu’aucune réponse satisfaisante ne se dégage. La question est : à qui il faut payer ? J’aime la musique, comme tout le monde, j’aime les musiciens, je trouve naturel que ces derniers vivent du fruit de leurs œuvres, je trouve normal que les maisons de disques gagnent de l’argent aussi, en bref je trouve normal d’acheter les disques (mais peut-être pas à n’importe quel prix : 22 euros l’album, c’est beaucoup). Par contre  je ne veux plus de CD audio (j’ai à peine de quoi les lire) et je ne veux pas non plus que les musiciens se fassent escroquer par leurs distributeurs (ni par les maisons de disques, ce qui arrive, dit-on)… Alors quoi ? Je fais quoi ?

(1)Interview dans ParuVendu, 18 mars 2010.


Illustration en tête d’article : le catalogue de l’exposition adonnaM.mp3, qui s’est tenue au DigitalCraft/Musée des arts appliqués de Frankfort en 2003. Le titre de l’exposition fait référence à une pratique qui a eu cours dans le partage de fichiers : modifier l’ordre de la première lettre du nom du fichier pour qu’il échappe au filtrage : Madonna devient adonnaM, Metalica devient etalicaM, etc.

Image de une : Alain Bachellier

Billet initialement publié sur Le Dernier blog

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Hadopi RIP Apiadopi http://owni.fr/2010/01/27/hadopi-rip-apiadopi/ http://owni.fr/2010/01/27/hadopi-rip-apiadopi/#comments Wed, 27 Jan 2010 17:20:19 +0000 Stéphane Favereaux http://owni.fr/?p=7296

Notre gouvernement ayant omis de déposer à l’INPI le nom Hadopi, un opportuniste que l’on jugera ou non délicat, eut la délicieuse idée de déposer ce nom 6 mois avant les autorités politiques.  Renaud Veeckman, le dépositaire en question, moque maintenant ouvertement les pro-Hadopi en lançant, ce lundi 25 janvier une plateforme de téléchargement légal, et ce sous les yeux que l’on imagine ébahis d’énervement de Pascal Nègre et de défiance du Ministre des Droits d’Auteur et de la SACD.

L’AFP révèle en fait que les deux dossiers de dépôt ont été déposés, et l’affaire traitée par un tribunal compétent en la matière. L’INPI n’a en effet pas encore « tranché ».

En tout état de cause et par excès de zèle prudent, on le comprendra à la vue des souhaits gouvernementaux, Renaud Veeckman répond au gouvernement avec ApiAdopi. Au nouvelObs.com, il répond : « Contre le marketing politique, j’ai fait du marketing tout court. ».

La home page de ApiAdopi est claire : « Nous en sommes tous conscients, les modèles qui régissent – aujourd’hui – l’économie culturelle ne sont plus satisfaisants ni pour les créateurs ni pour les consommateurs. Seuls quelques acteurs (majors, sociétés de production télévisuelles, grands médias) monopolisent l’espace culturel en s’arcboutant sur des schémas dépassés. Ils empêchent, par là-même, l’émergence et le développement de projets viables et alternatifs. »

Pertinente démarche qui à  au moins le mérite d’ouvrir et d’accélérer potentiellement la mise en place d’autres plateformes de téléchargement légal, principe posé par le rapport Zelnik. La société civile prend le relais d’un gouvernement qui en est encore à légiférer là où son incompétence explose à la vue de tous les internautes, et pas uniquement des pirates /-)

Cette réponse pleine d’ironie idéaliste qu’il lance à la face du Ministère des revenus des artistes et de la culture se veut un modèle économique participatif : « Notre plateforme vise l’autofinancement. Les artistes seront rémunérés à 70% et la plateforme prendra 30% pour ses frais de gestion », poursuit l’empêcheur d’hadopiser en rond. L’artiste fixe le prix de ses supports, puisque ce projet se veut idéaliste. Si l’on voulait avoir la critique facile, on dirait utopiste.

Dans les faits, l’ouverture au grand public sera faite en septembre prochain, de telle façon que les artistes et créateurs puissent « remplir » la plateforme et qu’elle propose une véritable offre, aussi exhaustive que possible ; il est cependant fort à parier que seuls les anti-hadopi prennent place sur cette plateforme si tant est qu’elle voit effectivement le jour. Les pro attendront gentiment de suivre le sens du vent des décisions institutionnelles.

Apiadopi sera-t-il une nouvelle pierre angulaire vers lequel seront stigmatisées les envies légalistes de l’usine à gaz inapplicable Hadopi ?

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