Une campagne pas très net
Après Facebook, Twitter. Accusée ce week-end d'avoir censuré des comptes parodiant le président sortant, l'équipe de Nicolas Sarkozy a débarqué sur Internet avec ses gros sabots. Amorçant une campagne au ras des pâquerettes numériques.
“Sarkozy : une entrée en campagne fracassante”. La manchette tapageuse du dernier Figaro week-end pourrait tout aussi bien coller au web. Depuis que celui-dont-on-ne-devait-pas-prononcer-le nom s’est officiellement déclaré candidat à sa réélection, le 15 février dernier, l’Internet français (aussi) s’est emballé. Et n’entend plus parler que de lui : Nicolas Sarkozy sur Facebook, Nicolas Sarkozy sur Twitter, Nicolas Sarkozy ad libitum. Des débuts assourdissants. Ni marrants, ni réellement emballants. Entre mini-polémiques et passes d’arme, la campagne sur le réseau rase le sol, plus proche du caniveau que de la haute expertise en matière d’interouèbe.
Flux de polémiques
Tout a commencé avec la vraie-fausse affaire d’État mouillant Facebook et l’Élysée. La firme américaine s’est retrouvée sous le feu socialiste, accusée d’avoir tout mis en œuvre afin que le président sortant soit le premier candidat français à lancer sa “timeline”, le chemin de vie made in Facebook, en ses temps électoraux. Si François Hollande n’a pas pâti de ce favoritisme présumé, les relations resserrées du Palais et des équipes du réseau social sont depuis longtemps avérées. Et semblent bel et bien avoir entravé la créativité d’autres prétendants au fauteuil présidentiel, tel Dominique de Villepin.
Au-delà de son aspérité formelle, le “timelinegate” révèle sur le fond l’image que les équipes de la webcampagne sarkozyste se font d’Internet et de ses usages. Aseptisée. Pas faute de s’être entouré de spécialistes : deux équipes web à l’UMP et au QG du candidat, qui compte l’ancien conseiller numérique de la présidence, Nicolas Princen. Le tout appuyé par une agence de communication digitale, emakina. Un “panzer numérique” dont l’expertise semble en décalage avec les cultures numériques.
Sur Facebook, un profil présidentiel où l’interaction se limite aux seuls “j’aime”. Commentaires persona non grata. Sur Twitter, aujourd’hui dans le viseur médiatique, un compte @NicolasSarkozy rapidement “vérifié” (une procédure fermée au grand public), qui fait l’album de campagne du candidat. Et qui simule une certaine proximité avec les internautes, en signant quelques messages “NS”, pour Nicolas Sarkozy. Y compris au beau milieu d’un déplacement à Annecy, où il aurait réussi à causer avec la Maison Blanche “via web” (autrement dit, pas sur son téléphone) entre le fromage et le dessert.
Un compte qui a aussi fait table rase des usurpateurs. En clair : tout est propre, tout est cadré. Rien ne dépasse.
Au QG de campagne, on ne se cache pas d’être intervenu sur Twitter pour faire un peu le ménage. Interrogé par OWNI, un membre de l’équipe s’empresse néanmoins d’assurer n’avoir signalé au site “que les comptes qui ont repris l’orthographe exacte de ‘Nicolas Sarkozy’ sans préciser leur contenu parodique”. “Au nom de la transparence que l’on doit aux internautes” ajoute-t-il. Drôle de conception pour un réseau foutraque comme Twitter, où les profils sérieux côtoient les plus absurdes, et où les faux comptes parodiques y poussent en paix comme des champignons.
Dans son règlement, Twitter précise intervenir si des imitations sont susceptibles “d’induire en erreur, de prêter à confusion ou de tromper autrui”, afin de se préserver de toute usurpation d’identité. Et pour peu qu’on lui signale. Mais n’en accepte a priori pas moins l’art du pastiche.
Internet is serious business
Problème : les comptes récemment fermés par Twitter étaient soit manifestement parodiques (@_NicolasSarkozy), soit satiriques et hostiles à la politique du président sortant (@sarkocasuffit ou @mafranceforte). Au QG de Nicolas Sarkozy, on dément formellement être intervenu pour la fermeture de ces comptes. Un étrange hasard attribué à l’action de certains militants, qui auraient signalé en masse les profils incriminés via la procédure “report as spam”. “On respecte les règles du jeu, poursuit-on du côté de la rue de la Convention, la culture Internet, c’est aussi la parodie. On la joue à la régulière.”
Régulière ou pas, la fermeture de comptes ambigus atteste déjà de la communication strictement bordée du candidat Sarkozy sur Internet. Exit les autres contenus : les internautes sont soumis à l’injonction de consommer le seul flux officiel et labellisé. Et s’il s’avère que l’équipe de campagne a fait fermer des comptes anti-Sarkozy, ses velléités de contrôle s’apparenteront simplement à de la censure.
Certains n’hésitent d’ailleurs pas à employer le terme : ce week-end, le hashtag #sarkocensure a fleuri sur Twitter à la suite de la suppression de ces comptes. Les explications données par le site aux utilisateurs lésés ne faisant que renforcer les soupçons de partialité. Ainsi le propriétaire du compte @_NicolasSarkozy, créé en 2010 et pourtant décrit comme “compte parodique”, s’est vu accusé par la firme américaine de “commettre une usurpation d’identité non parodique.” Devant la levée de bouclier, il a finalement été réactivé.
Je te censure, moi non plus
Il n’en fallait pas moins pour que le PS s’engouffre dans la polémique. Dans un communiqué, une porte-parole de François Hollande a aujourd’hui dénoncé la fermeture de ces comptes, en rappelant l’attachement du candidat à “un Internet neutre”. Sans que des propositions concrètes aient encore été proposées en ce sens, la responsable numérique du PS Fleur Pellerin gardant le silence sur le sujet.
La veille, l’affaire tournait à la guéguerre entre socialistes et sarkozystes. Par articles interposés, chacun a joué au petit jeu du “je te censure, moi non plus”. Matthieu Creux, militant UMP affiché, a ainsi affirmé – pièces à l’appui – que le compte parodique @droledegauche, dont il est à l’origine, avait subi les foudres des avocats du PS en août dernier. Une action qui atteste selon lui “d’une volonté forte de la part du Parti Socialiste de vouloir faire taire l’humour politique sur Internet.” Réponse du berger à la bergère sur le site du Nouvel Obs, où l’un des responsables web de Solferino, Émile Josselin, explique que le compte @droledegauche était allé trop loin, justifiant ainsi d’entamer une démarche juridique :
D’un compte militant de droite à l’humour discutable, mais finalement de bonne guerre, on bascule soudain dans la volonté de nuire délibérée.
Ces derniers jours, c’est le “google bombing” qui monopolisait les observateurs de la campagne présidentielle sur Internet. La manœuvre, qui consiste à lier sur Google un ou des mots clés à un site Internet, a d’abord visé le candidat Hollande : l’expression “incapable de gouverner” renvoyant à son site de campagne. Puis le site de l’UMP, auquel a été lié les mots “on va tuer la France”.
Il y a cinq ans, la campagne s’était illustrée par la prolifération de ce genre de coups bas sur Internet. Interrogés dans le cadre de l’enquête Partis en ligne, les responsables web de l’UMP comme du PS nous avaient assurés récuser ces pratiques. Aspirant à une plus grande profondeur, souhaitant éviter les “petites phrases” pour aller vers du contenu de qualité et une relation plus approfondie avec “les internautes”. Nous étions alors en octobre, à l’orée de la campagne. Qui a déjà de faux airs de 2007.
Et pendant ce temps-là, les internautes sont morts de rire. Dès sa mise en ligne, ils se sont emparés de l’affiche de Nicolas Sarkozy. La détournant à l’envi et se poilant en chœur, bien loin de ces bisbilles de communicants.
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