L’Arcep trolle le CSA
L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) est contre le projet de sa fusion avec le CSA ; mais en plus elle le fait savoir. En jouant gentiment la provocation. Suite du feuilleton de Monsieur Contenu contre Madame Tuyau.
L’Arcep (anciennement ART), le gendarme des télécommunications français, a décidé de ne pas se laisser faire dans le grand chantier ouvert par le gouvernement à la rentrée : l’éventuel rapprochement de l’autorité avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). Et elle le fait savoir.
L’autorité vient ainsi de rendre public l’avis qu’elle a rendu à l’Exécutif sur la question. Pour un résultat provocateur, où elle se fait défenseur de la “liberté de communication sur Internet” tout en rechignant à l’idée d’une fusion avec le CSA. Sans oublier d’en appeler, au passage, à une rénovation de ce dernier. Dans le jargon, c’est ce qu’on appelle un troll. De compétition.
Touche pas à mon Net
Le régulateur a donc su prendre le train des critiques en marche contre le projet de rapprochement du CSA et de l’Arcep. Pour le tourner à son avantage. Parmi ces critiques, figurent en bonne place celles s’inquiétant des atteintes qu’une telle fusion pourrait faire peser sur la neutralité du Net.
A l’annonce de cette réflexion, nombre d’observateurs ont en effet pointé du doigt le risque de voir les contenus qui circulent sur Internet plus étroitement contrôlés, au même titre que ceux diffusés aujourd’hui sur les chaînes de radio et de télé, soumis à des règles spécifiques. Les déclarations offensives du président du CSA Michel Boyon, qui exigeaient qu’un rapprochement du CSA et de l’Arcep soit placé sous la seule “suprématie des contenus par rapport aux tuyaux”, n’ont pas vraiment aidé.
Réponse du berger à la bergère :
[L'Arcep] souligne la nécessité que, quelle que soit la solution retenue par le Gouvernement et le Parlement, la réforme ne puisse en aucun cas être perçue, même si ce n’est pas son objet, comme portant atteinte, ni directement, ni indirectement, à la liberté de communication sur Internet.
Une formule sans ambages qui ouvre et conclut le document de l’autorité. Qui précise, en s’appuyant sur les règles européennes : “le principe de neutralité de l’internet, tel qu’il résulte des textes communautaires transposés, interdit au régulateur des communications électroniques d’opérer une discrimination, au sein des règles applicables aux conditions d’acheminement de trafic, qui se fonderait sur une distinction entre les contenus audiovisuels et les autres contenus” (p.26). La mise en garde, à l’adresse du CSA et de tout autre fossoyeur en devenir du Net français, est explicite. L’Arcep veut frapper fort. Et rameuter un maximum de soutiens potentiels.
Pour qui sonne le glas
Un effort qui s’accompagne d’un dézingage en règle du voisin. Des manières de sale gosse, certes toujours camouflées par le langage feutré de l’autorité. Le message n’en est cependant pas moins clair : la priorité n’est pas de toucher à l’Arcep, qui dépend avant tout du cadre européen, mais bien de se pencher sur le CSA, qui patine sur les autoroutes de l’information.
Maladie de la régulation moderne qui appelle un “diagnostic”, “partagé, souligne l’Arcep, par l’ensemble des acteurs auditionnés” (p.16). Et d’enfoncer le clou :
[...] Le déclin régulier de la diffusion hertzienne terrestre [...] et, par suite, du champ des obligations des chaînes liées à leurs autorisations d’utilisation gratuite du domaine hertzien, mais aussi le “brouillage” croissant de la notion de “programmes audiovisuels”, et, enfin, la multiplication des terminaux (téléviseurs classiques ou connectés, écrans d’ordinateur, tablettes, smartphones…) remettent en cause, de façon accélérée, l’effectivité et la pérennité de l’actuel dispositif de régulation des communications audiovisuelles.
La longue oraison funèbre du CSA se poursuit, dans une série de questions que l’Arcep juge “essentielles” pour “la refondation de la régulation de l’audiovisuel” (p.17). Périmètre des contenus audiovisuels régulés, intensité de la régulation, régulation ex ante ou ex post, “couplage entre régulation et soutien à la création” : tous ces sujets, entre autres réjouissances spécifiques à l’audiovisuel, sont rouverts. Par l’Arcep. Qui convient d’ailleurs bien volontiers qu’il piétine ici des plate-bandes qui ne sont pas les siennes, en renvoyant la balle aux autorités compétentes du moment :
Certaines de ces questions entrent dans le champ de la mission confiée à Pierre Lescure.
L’increvable serpent de mer
L’Arcep déroule enfin la pelote jusqu’au bout, en envisageant trois scénarios : la création d’une instance commune, un renforcement des pouvoirs de l’Arcep ou la fameuse fusion que certains surnomment déjà “CSARCEP”.
La première option est présentée comme une “prolongation” du groupe d’échanges qui existe depuis 2011 entre l’Arcep et le CSA. Sorte de “coopération renforcée” qui pourrait “ultérieurement être élargie à d’autres régulateurs concernés par Internet”. Faisant ainsi ressurgir l’idée d’un méga-gendarme du réseau, potentiellement cornaqué par le Comité stratégique pour le numérique (CSN), suggère encore l’Arcep. Cet énième comité du Net, rattaché au Premier Ministre et aujourd’hui mis en sommeil, aurait pour “vocation à définir la stratégie numérique de l’Etat”. Une mission qui n’est pas sans rappeler celle de l’“enceinte de coordination”, qu’envisagerait le gouvernement.
La deuxième possibilité renforce considérablement les attributions de l’Arcep, qui se verrait gérer “l’ensemble de la régulation technico-économique, non seulement des réseaux mais aussi de celle qui relève actuellement du CSA” (p.23). Ce dernier se voyant contraint de se contenter d’un reliquat de fonctions. Non contente de rogner le CSA, l’autorité des télécoms s’attaque aussi à l’Autorité de la concurrence. L’Arcep plaide, dans cette configuration, pour de nouvelles prérogatives en matière de droit de la concurrence. Troll, on vous a dit.
Reste l’ultime combo de la mort : la fusion des deux autorités. Sur ce point, et ce n’est pas vraiment une surprise, l’Arcep n’est pas très chaude. Et place tout un ensemble d’alertes, en s’appuyant sur des études de cas peu concluantes à l’étranger, ou en réfutant l’argument selon lequel la fusion permettrait des économies de moyens. Histoire de dissuader un peu plus la majorité, elle va jusqu’à agiter le chiffon rouge d’un régulateur super-méga-puissant capable, au lendemain de la fusion, de “déposséder le Gouvernement et le Parlement d’une part significative de leurs prérogatives actuelles dans des domaines particulièrement sensibles et de plus en plus stratégiques” ‘p.26). Si avec ça, l’Arcep, historiquement taclé à droite comme à gauche pour prendre trop de libertés, ne parvient pas à faire rétropédaler le gouvernement sur le sujet…
Selon certaines informations, la machine arrière serait d’ailleurs déjà en marche. Y compris du côté du CSA, où Michel Boyon semble avoir mis un peu d’eau dans son vin, déclarant à la Lettre de l’audiovisuel que sa position était finalement proche de celle de l’Arcep. Bizarre, au vu de la leçon que les techniciens de l’Arcep ont ici adressée au monde du PAF.
Contacté par Owni, le CSA indique ne “rien avoir à dire là -dessus”. Il préparerait ses propres conclusions de son côté, qui devraient sortir dans “les prochaines semaines”. Pour rappel, les premières pistes des ministres en charge du dossier, Fleur Pellerin (ministre de l’économie numérique) et Arnaud Montebourg (redressement productif), étaient initialement attendues en novembre. Mais vu la complexité du dossier et l’embrouillamini qui règne sur les personnes et comités supposés s’en saisir, on est pas prêt de voir la queue de ce serpent de mer, décidément increvable.
Illustration par Meme.tn (CC-by)
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